Les universités du monde entier sont passées à l’apprentissage en ligne, pratiquement du jour au lendemain, en raison de la pandémie du COVID-19. Les étudiants ont « assisté » aux cours virtuellement, avec le confort (et l’inconfort) de leur domicile... et toutes ses distractions.
Dans les sondages, les étudiants ont indiqué leur souhait de retrouver le chemin de l’université. Pourquoi ? En partie parce qu’ils souhaitent revoir leur amis, bien entendu. Mais aussi, car la salle de cours, avec son tableau noir, son odeur de craie et son espace physique, facilite la gestion d’une ressource rare : ni le temps ni l’argent... mais l’attention. Les étudiants ne sont pas les seuls à vouloir revenir sur le campus. Pour les salariés qui ont pu faire du télétravail, ils ont été obligés de gérer leur travail (répondre aux mails, s’occuper de la paperasserie, faire de la recherche ou du travail créatif…) tout en s’occupant de la vie familiale et des tâches ménagères. La transition entre la maison et le travail n’a jamais été aussi rapide et pourtant il n’a jamais été aussi difficile de déplacer notre attention d’un espace mental à l’autre.
Ce qui est vrai pour l’espace physique et mental, l’est également pour le savoir. L’abondance d’information conduit, comme l’a identifié Herbert A. Simon dans les années 1970, à la rareté de l’attention. Le choix auquel sont confrontés les salariés, les managers et les étudiants n’est plus seulement entre le travail et les loisirs, c’est-à-dire entre l’argent et le temps. Au contraire, un nombre croissant de choix quotidiens implique la gestion de notre budget d’attention : à quoi devons-nous « prêter » l’attention ? Quand devons-nous « exiger » de l’attention ? Et quelle attention pouvons-nous « donner » ou « offrir » ? En effet, le langage montre clairement que, plus que jamais, nous vivons maintenant dans l’« économie de l’attention », comme l’a dit Simon lui-même. Comment devrions-nous donc répartir notre attention pour tirer le meilleur parti de l’abondance d’informations ? Et quelles conséquences cela implique-t-il pour l’avenir de l’éducation, notamment dans les écoles de management ?
Demain, les écoles de management devraient fournir les outils nécessaires à la recherche, au traitement et à l’utilisation des connaissances : en bref, comme sur les anciennes cartes, tracer le chemin à travers le labyrinthe des informations, des connaissances et des opinions actuelles. Quelle étude est pertinente ? Quels auteurs mènent la conversation ? Comment et où pouvons-nous trouver l’information ? Les décisions fondées sur des données scientifiques pour les entreprises et les organisations et, en fin de compte, pour les individus ne peuvent pas reposer uniquement sur les médias ou le hasard. Pourtant, la frontière de la connaissance n’est pas à un « clic » de distance. Elle nécessite une formation. Telle pourrait être la valeur ajoutée des écoles de demain : créer une carte pour l’acquisition des connaissances, pour permettre aux étudiants de comprendre non seulement la frontière de la connaissance, mais aussi l’évolution de la recherche en sciences sociales dans l’histoire récente, les principaux débats dans le passé et les origines du consensus et des désaccords actuels. Cette méthodologie peut non seulement enrichir le processus de transmission des connaissances, mais aussi permettre à chaque participant d’étudier d’autres domaines d’intérêt de manière rigoureuse, même sur des routes du savoir « moins fréquentées ».
Les choix politiques, économiques et sociaux nécessitent non seulement de naviguer dans l’abondance d’informations, mais aussi de gérer différents objectifs. Là encore, l’attention joue un rôle clé. Les événements récents montrent que nous vivons dans une « économie de l’attention », où l’opinion publique est de plus en plus mondialisée. En quelques minutes, un même contenu peut devenir viral dans le monde entier. Saisissant notre attention, on attend maintenant de nous que nous réagissons à de tels événements, même si nous ignorons leur contexte. Les écoles de management pourraient fournir les outils nécessaires pour permettre à leurs étudiants de transformer l’attention en intention. Pourquoi les autres cherchent-ils à attirer notre attention ? Comment pouvons-nous utiliser cette attention avec intention ? Dans le passé, des événements comme les championnats sportifs ont servi à créer un sentiment d’appartenance et à construire du capital social. Aujourd’hui, la mondialisation de l’information attire l’attention de publics de milieux divers. Même s’ils voient les mêmes informations, tous n’en font pas la même lecture. Il est tout aussi important de nourrir les intentions que d’apprendre les faits. Maintenant qu’une opinion publique mondialisée émerge, comment créer un capital social mondialisé ? L’éducation a un rôle essentiel à jouer dans la création d’un capital social mondialisé qui contribuerait à favoriser la coopération internationale dans la gestion des biens environnementaux communs, entre autres objectifs.
Alors que nous nous préparons à revenir dans nos salles de classe pour la rentrée académique, la salle prend un nouveau sens en tant qu’espace physique et mental. Elle offre un espace qui met les étudiants sur un pied d’égalité en termes d’attention. Les inégalités en matière de ressources économiques se traduisent par des inégalités dans les dotations en attention dont disposent les individus. Des dotations d’attention plus faibles résultent de conditions matérielles inférieures comme des environnements petits et bruyants ou des espaces habités par des conflits. En partageant un espace et un temps communs, les étudiants et les professeurs créent la possibilité d’une discussion plus égalitaire. La stabilité d’une société libre reste sur le potentiel actualisé de telles espaces : faisons entrer dans nos salles de classe des voyageurs divers qui créent de nouvelles routes pour relever ensemble des défis à venir.