Comment les hôpitaux parisiens se préparent pour les Jeux Olympiques

Comment les hôpitaux parisiens se préparent pour les Jeux Olympiques

Avec ESSEC Knowledge Editor-in-chief

JO Paris 2024 : la Seine toujours trop polluée, mauvaise nouvelle à moins d’un mois de la cérémonie d’ouverture

-Le HuffPost, 28 juin 2024

Jeux de Paris 2024 : un nouveau rapport alerte sur les dangers de la chaleur

-Le Nouvel Obs, 18 juin 2024

Soupçonné de projeter des attentats durant les JO, un jeune homme des Yvelines mis en examen à Paris

-Le Parisien, le 21 juin 2024

Ces titres récents ne sont que trois parmi des dizaines dans la presse française et internationale à l'approche des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024, qui soulignent les divers risques potentiels auxquels les Jeux sont confrontés : une Seine polluée, la canicule, les attentats...

Cela signifie que toutes les parties concernées doivent prendre les mesures nécessaires pour se préparer : le Comité international olympique, les délégations d'athlètes, la France, la police - et les hôpitaux, qui doivent être prêts à faire face à tout type d’évènements extrêmes. 

Ces préparatifs menés par les hôpitaux font l’objet des investigations de l’équipe de recherche pluridisciplinaire coordonnée par Marie-Léandre Gomez (professeure à l’ESSEC). Outre Marie-Léandre Gomez, l’équipe de l’ESSEC comprend Marie Kerveillant (ingénieure de recherche et directrice académique adjointe de l'Executive Master in Management et Gestion des Organisations de l'ESSEC), Philippe Lorino (professeur émérite), et le Dr Matthieu Langlois (docteur en médecine, chercheur et enseignant); des partenaires de l'APHP Paris Santé Sorbonne-Université (équipe dirigée par le professeur Mathieu Raux) et de la chaire de géopolitique des risques de l'ENS (dirigée par Peter Burgess et Jan Verlin). 

Ce projet, appelé COMEXT (coordination des équipes médicales et non médicales dans des contextes extrêmes), étudie la manière dont les équipes médicales et non médicales se coordonnent dans des contextes extrêmes, tels que les crises dans les hôpitaux et les attentats. En 2021, ils ont reçu un financement de l'Agence nationale de la recherche pour une période de trois ans. Ils combinent l'expertise de recherche en management, en philosophie, en géopolitique et en sociologie, ainsi que celle des professionnels de la santé.

Pourquoi se concentrer sur les hôpitaux ? Les crises s’y multiplient, leur gravité et leur complexité augmentent également (1).

Leurs recherches portent sur deux axes clés :

- La coordination entre les primo-intervenants comme les équipes de sécurité, comme le RAID (RAID signifie Recherche, Assistance, Intervention, Dissuasion, et est l'unité d’intervention de la police nationale) et son équipe médicale, les sapeurs-pompiers, le SAMU et les services hospitaliers d’urgence.

- Les crises hospitalières, en mettant l'accent sur le rôle clé des directeurs médicaux en temps de crise. Les hôpitaux sont impliqués à la fois dans les crises "internes" et "externes" :

  • les crises à l’hôpital lui-même qui touchent leurs structures et leurs infrastructures (inondations, cyberattaques, coupures d'électricité) et la sécurité des personnes (intrus armés, incendies)
  • les crises extérieures, " qui provoquent un afflux massif de victimes, comme les accidents et les attaques dans la région de l’hôpital, situations dans lesquelles une coordination avec les équipes de premiers secours est nécessaire.

L'objectif du projet est de mieux évaluer le niveau de complexité des crises auxquelles les hôpitaux sont confrontés, de produire des connaissances sur leur organisation et de les aider à améliorer leur coordination en cas de crise.

Les Jeux olympiques : un concours de circonstances unique

Comme évoqué par les médias, les Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024 sont confrontés à des risques de crises, notamment des vagues de canicule avec les risques qui en découlent pour la santé des athlètes et des spectateurs, des accidents de bus et des attentats. Les hôpitaux se préparent à un éventuel afflux de patients. De nombreux médecins, infirmières et employés ont reporté leurs vacances pour travailler cet été. De plus, comme beaucoup d'autres organisations, les hôpitaux sont conscients des risques de cyberattaques pendant les Jeux Olympiques et Paralympiques. Tous les hôpitaux de la région parisienne et de toutes les villes accueillant les Jeux travaillent depuis des mois à la préparation de la crise : 

- Coordination entre les différents hôpitaux et sites, notamment en cas de crise extrême.

- Mise à jour ou création de plans de crise, répartition des responsabilités dans les organisations, anticipation des spécificités de l'événement, comme l'afflux massif de personnes parlant d'autres langues que le français. Tous les hôpitaux ont également organisé de grands exercices d'entraînement, impliquant les primo-intervenants, les services d'urgence, les salles d'opération, les médecins, les infirmières, la logistique, la pharmacie, l'approvisionnement, la communication... Tous les employés ont un rôle à jouer en cas de crise. Ces exercices impliquent des centaines de personnes et nécessitent des efforts considérables pour les organiser sans gêner la prise en charge des patients qui viennent à l'hôpital ce jour-là.

Ces exercices ne servent pas uniquement à répéter et à mettre en œuvre des plans de crise. Ils aident les hôpitaux à identifier les points faibles et à les corriger. Des scénarios sont élaborés pour faire prendre conscience de la manière dont le stress et les émotions des personnes influencent leurs réactions dans ces situations tendues.

Le groupe de recherche COMEXT étudie les différentes facettes de la préparation aux crises en interrogeant des médecins et des directeurs d'hôpitaux et en observant des exercices de formation et de crise. La collecte de données pour les Jeux Olympiques est en cours, mais les chercheurs ont fait part de leurs premières conclusions.

1. Les Jeux Olympiques et Paralympiques sont une excellente occasion de se préparer à la gestion de crise dans les hôpitaux, et de développer leur agilité et leur résilience. Historiquement, les hôpitaux se sont peu intéressés à la préparation et à l'organisation des crises. Toutefois, les attentats à Paris en 2015 ont été déterminants pour encourager certains médecins à améliorer la préparation des hôpitaux. Le docteur Langlois, à l’époque médecin-chef du RAID, et des médecins (notamment le professeur Raux à La Pitié-Salpêtrière) ont travaillé sur leur collaboration pour mieux se préparer à des afflux massifs de patients et ont développé des programmes de formation continue pour les médecins. Plus tard, en 2019, le poste de directeur médical de crise a été créé pour mieux organiser la réponse médicale aux crises. La pandémie de COVID-19 a encore démontré la nécessité de mieux coordonner et organiser. Cependant, confrontés à un manque criant de ressources humaines, les hôpitaux ont eu du mal à maintenir leurs efforts après la crise du COVID-19. Paris 2024 fait de la préparation aux crises une priorité à nouveau, les hôpitaux développant des exercices de simulation et finançant la formation des principaux concernés, en réponse à cette situation. Les médecins et les directeurs d'hôpitaux reconnaissent que la préparation à d'éventuelles crises pendant les Jeux Olympiques les aide à améliorer leur coordination, leur capacité à mieux anticiper et à être plus agiles face à des situations incertaines et complexes.

2. Les résultats préliminaires révèlent également un équilibre entre les sexes dans la direction médicale de crises. Dans l'enquête, la moitié des directeurs médicaux de crise sont des femmes, alors qu'il y a globalement moins de femmes que d'hommes à la tête des services de médecine dans les hôpitaux. À cet égard, les hôpitaux semblent beaucoup plus équilibrés en termes de genre que la plupart des secteurs. Les chercheurs de COMEXT analysent différentes hypothèses pour expliquer ce constat. L'hypothèse la plus optimiste est que la gestion de crise est une opportunité pour les femmes médecins de se positionner sur des postes de management. L'hypothèse la plus pessimiste est que la gestion de crise ne semble pas si intéressante et valorisante pour les médecins hommes, qui laissent cette mission à leurs collègues femmes. Des recherches plus approfondies pourront permettre d'en savoir plus sur les causes de ce phénomène.

3. La conceptualisation du temps dans la crise : la pandémie de COVID-19 et maintenant la préparation des Jeux olympiques montrent qu'il faut revoir la conception de la crise comme un moment spécifique, un épisode que l'on peut différencier des temps "normaux". Il y a de moins en moins de discontinuité entre les périodes de crise et les périodes hors crise, ainsi qu’au sein du trio traditionnel préparation - crise - débriefing/post-crise. COMEXT propose de revisiter le temps dans la crise avec une vision plus continue et processuelle. C'est particulièrement important pour les futures crises telles que la crise climatique. Dans le contexte des hôpitaux, cette conception du temps encourage à revoir la gouvernance de crise, avec une organisation de crise plus fluide. Actuellement, le directeur médical de crise est officiellement nommé et n'est actif qu'en période de crise, ce qui limite son rôle dans les préparatifs. Par ailleurs, la coordination entre les hôpitaux, ainsi qu'entre les hôpitaux et le reste du système de soins et de secours doit être repensée. Cela fait partie de l'ambition des futures recherches et propositions du groupe COMEXT. 

Référence

Lagadec, P. (2023). Sociétés déboussolées : Ouvrir de nouvelles routes. Paris : Editions Persée. 

Pour en savoir plus

Gomez, M. L., Kerveillant, M., Langlois, M., Lot, N., & Raux, M. (2023). Organizational innovation under constraints: The case of covid patients’ flow management in Parisian hospitals. Health Services Management Research, 36(2), 137-144.  

Langlois, M., Autissier, D., Gantzer, G., Gomez, M. L., & Kerveillant, M. (2024). Incertitude ordinaire: résilience organisationnelle en situation de crise. Éditions EMS.

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