Optimisation de la livraison grâce aux transports en commun

Optimisation de la livraison grâce aux transports en commun

Avec Ivana Ljubic et Claudia Archetti et Laurent Alfandari

Le commerce en ligne fait désormais partie de l’expérience du consommateur — pourquoi braver un centre commercial bondé quand vous pouvez vous faire livrer vos achats à domicile et les renvoyer gratuitement s’ils ne vous conviennent pas ? Cette tendance a explosé : aux États-Unis, les dépenses de consommation liées au e-commerce devraient atteindre mille milliards de dollars (1), et en Chine, plus de 40 milliards de colis ont été livrés en 2017 (2). Si elle est indéniablement pratique pour le consommateur, elle présente des défis pour les entreprises et pour l’environnement, car les consommateurs s’attendent à une livraison rapide, ce qui peut s’avérer coûteux. Il en résulte une abondance de véhicules commerciaux pour effectuer des livraisons à domicile : un système non durable tant en termes de logistique que d’impact sur l’environnement. Ces véhicules commerciaux contribuent à la pollution et aux embouteillages. Les professeurs de l’ESSEC Diego Delle Donne, Laurent Alfandari, Claudia Archetti et Ivana Ljubic, tous membres du département Systèmes d’information, sciences de la décision et statistiques, étudient les défis de la logistique de livraison dans le cadre d’un programme actuel de recherche. Ils ont étudié les défis de la livraison du dernier kilomètre (la dernière étape du processus de distribution) et la façon dont les technologies émergentes, y compris l’IA, peuvent jouer un rôle dans la réduction de la pollution causée par le transport de marchandises en milieu urbain. Dans leur dernier article publié dans Transportation Research Part B (3), ils explorent la possibilité d’utiliser des méthodes de livraison de « fret en transit », c’est-à-dire d’utiliser les transports publics pour transporter les colis dans les grandes villes.

Diverses solutions ont été testées pour relever les défis liés à la réduction des coûts et de l’impact sur l’environnement du e-commerce et, en particulier, de la livraison du dernier kilomètre :

  • Les points de retrait : une solution largement utilisée en France, où vous pouvez retirer votre colis dans votre boulangerie ou chez votre fleuriste, à condition que le magasin soit partenaire
  • l’utilisation de drones ou de robots autonomes, 
  • les applications de crowdshipping (qui s’appuient sur des réseaux de coursiers locaux non professionnels pour livrer les colis à la porte des clients).

Cependant, aucune de ces solutions n’a réussi à réduire la charge de trafic sur les livraisons du dernier kilomètre ni à réduire l’impact environnemental des émissions. Le e-commerce ne montrant aucun signe de ralentissement, les chercheurs ont décidé d’explorer d’autres options. L’une d’entre elles est l’utilisation des transports publics, puisque les consommateurs sont concentrés dans les zones urbaines. Ils ont étudié la viabilité de l’utilisation des lignes de transport public, en particulier en dehors des heures de pointe, pendant lesquelles il y a de la place à bord.

Cette idée a déjà été testée. Des projets pilotes sont en cours à Karlsruhe, en Allemagne, et à Londres. En France, Monoprix a utilisé le RER D pour transporter des produits entre son centre de distribution de banlieue et la gare de Bercy à Paris (mais pas pour la livraison de courses à domicile). Au Canada et aux États-Unis, Greyhound utilise des bus pour livrer des colis.  Ces projets ont connu un premier succès, ce qui a permis d’étayer la faisabilité du concept.

Les chercheurs ont identifié trois types de décisions à prendre en compte : stratégiques, tactiques et opérationnelles.

Les décisions stratégiques comprennent

  • le type de transport à utiliser (bus, tramway, métro) et les lignes à emprunter
  • L’emplacement des points de ramassage et de dépôt
  • Les objectifs : nombre de colis livrés, réduction des coûts...

Les décisions tactiques comprennent

  • L’utilisation de casiers (pour que les consommateurs viennent les chercher) ou la livraison jusqu’à la destination finale.
  • Dans ce dernier cas, le type de flotte à utiliser pour la livraison du dernier kilomètre : coursiers à pied, à vélo ou à scooter, robots, véhicules autonomes...
  • La taille de la flotte

Les décisions opérationnelles comprennent

  • les horaires quotidiens, l’acheminement des colis
  • Les plages horaires disponibles
  • L’optimisation du compromis coût/distance

Dans leur dernière publication, les chercheurs ont étudié les décisions stratégiques liées à l’utilisation du fret en transit pour les livraisons du dernier kilomètre, et plus particulièrement le choix des lignes de transport et des gares à utiliser pour les livraisons.

Ils ont étudié un modèle dans lequel les colis vont de leurs points d’origine (centres de distribution centraux) à leurs destinations (clients), en utilisant les transports publics. Tout d’abord, les colis sont transportés de leur point d’origine jusqu’aux stations de transport public, puis chargés dans le véhicule (bus, train ou tramway). Ils sont ensuite transportés jusqu’à leur station de dépôt et pris en charge par des transporteurs (porteurs, drones, etc.) qui parcourent le dernier kilomètre et les emmènent jusqu’au client.

Cette figure montre les étapes du fret en transit et ce à quoi il peut ressembler.

Ce type de décision implique à la fois les autorités publiques, qui gèrent les transports en commun, et les entreprises privées, qui sont responsables des livraisons. En tant que tels, les systèmes de transport de marchandises impliquent des accords entre les deux types d’acteurs.

Dans leur modèle, les chercheurs ont mené une étude de cas en prenant comme exemple la ville d’Orléans, en France. Actuellement, Orléans compte 90 lignes de bus, et chaque ligne compte environ 23 arrêts. Ils ont utilisé la modélisation mathématique (basée sur des formulations de programmation en nombres entiers) pour évaluer le budget disponible et la capacité du système de bus à répondre à des questions de décision stratégique : quelles lignes de bus devraient être impliquées et où les arrêts de « dépôt » et de « dépose » devraient être situés. Leur modèle a pris en compte les origines et les destinations des colis, les lignes disponibles, les arrêts potentiels de dépôt et de dépose, la capacité de chaque ligne à accueillir des colis et les coûts impliqués. Les coûts peuvent inclure l’achat d’équipements de stockage et le temps de chargement/déchargement des colis. L’utilisation de ce type de modèle peut aider les parties prenantes à déterminer le meilleur système pour l’utilisation du fret en transit dans leur ville. Ce faisant, les parties prenantes peuvent récolter les avantages du fret en transit : une option qui vaut la peine d’être envisagée compte tenu de l’omniprésence du e-commerce et des coûts sociétaux, financiers et environnementaux qui y sont associés. Les chercheurs étudient également les décisions tactiques et opérationnelles dans le cadre de projets de recherche en cours, afin de mieux comprendre comment optimiser l’utilisation des transports publics pour la livraison de colis et d’identifier de meilleures solutions pour la livraison du dernier kilomètre.

Les avantages de l’utilisation des transports publics pour les livraisons sont les suivants :

  • Une situation gagnant-gagnant pour les principales parties prenantes, puisque les autorités publiques peuvent réduire l’impact environnemental des livraisons et créer une ville plus durable, et les entreprises de logistique peuvent réduire leurs coûts ;
  • Un moyen de s’adapter aux réglementations sur les véhicules commerciaux dans les zones urbaines ;
  • Améliorer la satisfaction des clients en assurant une livraison rapide tout en réduisant la charge des flottes commerciales.

Le fret en transit concerne les urbanistes, les autorités de transport, les gouvernements locaux, les entreprises de e-électronique, les activités environnementales et même les consommateurs individuels. Il s’agit d’une option pratique qui mérite d’être envisagée, car le commerce en ligne n'est pas près de disparaître et la protection de l’environnement est un effort collectif permanent. La recherche de solutions alternatives et, espérons-le, plus écologiques, peut aider les parties prenantes à trouver la meilleure solution pour la livraison de colis dans leur zone urbaine, ce qui pourrait améliorer l’habitabilité et la durabilité de la ville.

Références 

  1. Reuters, 2022. U.S. Consumers to Spend Record $1 Trillion Online in 2022 - Report. Reuters, URL: https://www.reuters.com/world/us/us-consumers-spendrecord-

  2. National Bureau of Statistics of China, 2020. National Data. National Bureau of Statistics Beijing,http://www.stats.gov.cn/

  3. Delle Donne, D., Alfandari, L., Archetti, C., & Ljubić, I. (2023). Freight-on-Transit for urban last-mile deliveries: A Strategic Planning Approach. Transportation Research Part B : Methodological, 169, 53-81.

Ce travail a été financé par l'Initiative d'Excellence CY, France (subvention « Investissements d'Avenir » ANR-16-IDEX-0008").

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