Master and Puppets : comment les PDG narcissiques construisent leur monde professionnel

Master and Puppets : comment les PDG narcissiques construisent leur monde professionnel

Dans la seconde moitié de cet article, Arijit Chatterjee, professeur de Management à l'ESSEC Business School, explique comment les PDG narcissiques* satisfont leur besoin de domination et l'impact que cela suscite sur les équipes de direction. 

* Du papier « Master of Puppets: How Narcissistic CEOs Construct their Professional Worlds », par Arijit Chatterjee et Timothy G. Pollock, publié dans Academy of Management Review.

Je suis le patron et je décide 

Parce que les PDG narcissiques pensent que leurs connaissances et leurs expériences sont supérieures aux autres, ils en concluent que leurs décisions doivent aboutir aux meilleurs résultats. Du coup, ils ont besoin de dominer la prise de décision dans l'organisation. Ces traits de caractère, qui semblant négatifs pour beaucoup d'entre nous, sont utiles quand il faut prendre une décision - un besoin moindre d'intimité, un manque d'empathie et des niveaux inférieurs de gratitude pour les collègues de travail leur permettent en effet plus facilement d'exploiter et de dominer les autres. Cela ne signifie pas que les narcissiques sont toujours violents et dominateurs. Les narcissiques peuvent également utiliser des techniques de charme comme moyen d'influence que certains peuvent trouver de prime abord agréable.

Des études montrent que les PDG narcissiques ont tendance à mettre en place plusieurs stratégies pour veiller à ce qu'ils conservent le contrôle des décisions dans l'entreprise. Considérant que les avantages des administrateurs de haut statut mondial l'emportent sur les coûts, les membres de l'équipe au statut élevé créent des problèmes pour ces PDG – puisqu’ils ont tendance à parler plus fort et plus franchement - d'où la première stratégie de placer un cercle de lieutenants loyaux autour d'eux pour les protéger et les défendre , et ainsi faciliter la mise en œuvre de leurs directives. C’est plus facile dans les petites entreprises que dans les grandes où la complexité structurelle de l'organisation et le nombre considérable d'employés rendent impossible l'exercice d'un contrôle direct. Une équipe fidèle devient ainsi encore plus critique dans cet environnement, car les PDG narcissiques sont plus susceptibles de les utiliser pour se tenir éloignés des employés de niveau inférieur avec lesquels ils ont peu d'intérêt à interagir. 

Ils sont également plus susceptibles de promouvoir les jeunes gens, plus inexpérimentés à des postes clés, non pas parce que ces derniers sont moins capables, mais parce que – manquant de réseaux étendus, plus réceptifs aux changements stratégiques, et enclins à créer des ennemis parmi leurs pairs non choisis – ils fourniront la fidélité née à la fois de la reconnaissance et des obligations. Après tout, leur carrière future dépendra de la poursuite de la domination du PDG narcissique au sein de l'entreprise. D'anciennes recherches citent Steve Jobs comme exemple. En démarrant avec son co-fondateur Steve Wozniak, il s'est fait connaître en identifiant les individus talentueux et en les poussant à réaliser de grandes choses, mais aussi en leur tournant le dos et en les remplaçant sans hésitation lorsque leur comportement lui déplaisait. 

Enfin, en raison d'une préférence pour les subordonnés qui les admirent – ou les craignent – et qui peuvent faire preuve de tolérance pour leurs comportements les moins savoureux, les PDG narcissiques ont tendance à s'entourer d'administrateurs et de dirigeants malléables, moins estimés et prêts à permettre au PDG de récupérer tout le crédit des résultats positifs. Surtout, ils vont également s'identifier personnellement au PDG narcissique plutôt qu'à l'organisation.

Miroir, miroir. Echo, écho

Pour boucler la boucle, il est également étrange que les subordonnés de l’entreprise puissent finir par regarder aussi dans le miroir. Non pas pour se voir eux-mêmes, mais pour voir l'image de leur PDG narcissique si soigneusement conçue par le fabricant lui-même. Cette identification est née à partir d'un mélange de récompenses, de punitions, d'images héroïques du PDG dans les médias et d’inconfort psychologique des subordonnés d’admettre à eux-mêmes qu'ils se prosternent devant leur patron. Cela conduit les employés à développer des mythes rationalisés au sujet de leurs dirigeants. Mais alors qu'ils admirent les actions, la vision, les capacités et la rébellion du PDG, ils finissent en fin de compte par utiliser le mythe comme une «excuse»,  un effet secondaire du génie, pour pardonner ses excentricités négatives tels que des crises de colère, un manque d'empathie, des humiliations ou des punitions. Dans le livre Elon Musk: Tesla, PayPal, SpaceX : l'entrepreneur qui va changer le monde, l'auteur Ashlee Vance déclare : « De nombreuses personnes […] ont dénoncé les nombreuses heures de travail, le style émoussé de Musk et ses attentes parfois ridicules. Pourtant, presque chaque personne - même celles qui avaient été licenciées - vénérait encore Musk et parlait de lui en des termes habituellement réservés aux super-héros ou aux divinités. » L’auteur soutient que la personnalité est, en partie, une construction sociale et « l'évaluation de la personnalité doit être ancrée dans le contexte plutôt que de regarder les caractéristiques générales. »

Narcisse : jusqu’aux racines

Alors qu'est ce qui peut être fait ? Et le narcissisme est-il nécessairement négatif ? Certains traits peuvent être considérés comme des vertus dans de nombreuses situations de leadership. Tout en reconnaissant cela, Arijit Chatterjee et Timothy G. Pollock soulignent le fait que plus d'une décennie après la loi Sarbanes-Oxley, les liens entre les directeurs indépendants et les PDG continuent d'entraver l'efficacité de la gouvernance d’entreprise et des conseils d'administration, avec des relations directeurs-PDG qui s'emmêlent dans un quiproquo qui conduit finalement à l’échec des réformes de gouvernance d'entreprise. « Des réglementations plus strictes peuvent être inefficaces dans leurs excès,  affirment-ils. Si les conseils d'administration connaissent mieux leurs PDG, et que les PDG sont conscients de leurs propres tendances, ils pourraient être en mesure de prendre de meilleures décisions en matière de recrutement et de structurer le monde professionnel du PDG de façon plus efficace. »

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