Comment l’économétrie nous aide à comprendre les changements climatiques

Comment l’économétrie nous aide à comprendre les changements climatiques

Quand en 2010 Claude Allègre a publié son livre L’imposture Climatique, il remettait en cause le rôle de l’homme dans le réchauffement climatique, mais peu nombreux sont aujourd’hui les scientifiques qui en doutent. Cela peut paraître évident : depuis la révolution industrielle, nous avons produit d’énormes quantités de gaz. Dans l’intervalle, les températures ont augmenté.

Pourtant, au cours des quinze dernières années, la hausse des températures semble s’être ralentie, voire arrêtée. C’est un aspect peu connu du grand public, souvent appelé hiatus du réchauffement. Plusieurs explications ont été proposées pour expliquer ce ralentissement : il pourrait être dû à une réduction cyclique de l’activité solaire ou une suractivité volcanique (dont les cendres projetées dans l’atmosphère filtrent les radiations solaires). Il a été également montré que les réductions de gaz à effet de serre qui ont suivi la signature du Protocole de Montréal en 1989 ont sans doute joué un rôle.

Mais que savons nous précisément du réchauffement climatique, de ses causes et de ses solutions ? Il y a encore tant de facteurs que nous ne comprenons pas suffisamment. Un simple exemple : la capacité d’absorption des couches profondes des océans est encore mal comprise. Elles sont peut-être capables d’emmagasiner davantage de chaleur qu’on pensait auparavant, avec un risque potentiel de la libérer dans le futur. Mais alors, avec quel degré de certitude peut-on affirmer que ce réchauffement (ou la pause récente) est dû à la main de l’homme ?

Tout professeur de probabilités ou de statistiques sait bien insister auprès de ses élèves la différence entre corrélation et causalité. Ce n’est pas parce que deux phénomènes se produisent ensemble que l’un entraîne nécessairement l’autre. Ainsi ce n’est pas simplement parce que les températures ont d’abord augmenté ni qu’elles se sont stabilisées que les scientifiques concluent ou non à l’existence d’un réchauffement d’origine humaine. Les lois physiques demeurent difficiles à comprendre bien que les climatologistes continuent de réaliser des progrès formidables.

Pour prouver une hypothèse scientifique, la plupart des chercheurs procèdent à des séries d’expérimentations, pour montrer que les mêmes causes produisent toujours les mêmes effets. Mais s’il est possible de procéder à des expériences en laboratoire, il n’est pas possible de les reproduire à l’échelle mondiale pour étudier l’impact des émissions sur les températures.

C’est alors que les méthodes économétriques se révèlent utiles pour l ‘étude du réchauffement. Certaines ont en effet été développées dans le cadre de la macroéconomie pour analyser les relations sans avoir à expérimenter. Dans la « vraie vie », aucun gouvernement ne peut se permettre de répéter des expériences à grande échelle sur sa population dans une visée purement scientifique ! Les économistes tentent en général de discerner les lois économiques en adoptant un point de vue historique, afin de voir comme Candide, si « plus ça change, plus c’est la même chose ».

Le Prix Nobel en Economie a été attribué en 2003 au britannique Sir Clive Granger pour ses travaux économétriques sur la modélisation des interactions de long terme entre variables économiques. La méthodologie qu’il a développée, appelée « co-intégration » permet de mettre en évidence les lois économiques. Elle a par exemple été utilisée pour établir les relations entre l’inflation, le PIB, les taux d’intérêts et la monnaie à travers des analyses statistiques de leurs fluctuations (leurs co-mouvements) de long terme.

Cette méthodologie a été mise à profit dans l’analyse des interactions sur longue période entre les émissions de gaz d’origine humaine et les variations climatiques.  Elle s ‘est toutefois heurté à un problème majeur pour l’économiste ou le climaticien : le manque de données ou plutôt leur absence de compatibilité. En effet, si nous sommes capables de mesurer la concentration de certains gaz, en particulier ce qu’on nomme leur « forçage radiatif », au cours des siècles (par exemple via l’analyse de leur concentration dans des carottes de glace, dans les cernes de croissance des arbres ou via des données océaniques) les données récentes issues de sources différentes ne sont pas toutes obtenues de la même manière. S’ensuit un problème difficile, parfois impossible de reconstitution de données historiques.

Dans un article à paraître dans la revue Econometric Reviews, j’ai proposé une méthode alternative pour mettre en évidence les relations de long terme entre les émissions de gaz d’origine humaine et la température de surfaces des océans de 1850 à 2011. L’avantage de cette méthode est que non seulement elle permet de prouver un lien de long terme malgré les disparités entre sources des données, mais elle permet également de le quantifier. De fait que je peux montrer que le hiatus récent semble bien temporaire ; un effet de rattrapage de la hausse manquante est d’ailleurs fortement possible. 

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