La mauvaise réputation des biocarburants

La mauvaise réputation des biocarburants

Alors que l’Union européenne impose un taux d’introduction des biocarburants de 5 %, Olivier Fourcadet, professeur à l’ESSEC, affirme que les biocarburants jouent toujours un rôle pour l’énergie propre du futur.

Les biocarburants, jadis perçus comme une énergie propre, souffrent actuellement d’une mauvaise réputation. Au cours des dernières années, la controverse a accompagné la question de la dette écologique associée au changement d’affectation indirect des sols et des cultures pour les biocarburants ; le mois dernier encore, la Commission européenne a annoncé son intention de limiter la production de biocarburants afin d’atteindre ses objectifs ambitieux et admirables liés au changement climatique. En revanche, Olivier Fourcadet, professeur associé à l’ESSEC et directeur de la Chaire européenne Filière d’excellence alimentaire, met en garde contre un rejet trop rapide : il faut se souvenir que quand la bioénergie est correctement exploitée, elle contribue véritablement au développement durable. Ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain.

« La mauvaise réputation des biocarburants est quelque chose de récent, déclare-t-il ; c’est seulement au cours des dernières années que l’augmentation de la demande en biocarburants a changé l’affectation des champs de cultures alimentaires, ce qui donne un fort coût en carbone. »

En effet, quand la technologie a été disponible en Europe pour fabriquer et incorporer les biocarburants, l’Europe connaissait une surproduction agricole et les revenus des exploitations agricoles étaient en baisse. Afin de diminuer la surproduction et d’augmenter les revenus des agriculteurs français, les dirigeants politiques ont d’abord encouragé les cultures pour les biocarburants sur les terres non exploitées en indemnisant les agriculteurs. Comme le prix du pétrole augmentait, tout comme les émissions de gaz à effet de serre, des politiques ambitieuses pour les biocarburants furent mises en place dans toute l’Europe. On en attendait quatre avantages : la réduction des émissions de gaz carbonique liés aux énergies fossiles, l’augmentation des revenus des exploitations agricoles, la réduction de la dépendance aux sources d’énergies extérieures ainsi que la diminution des dépenses liées à l’agriculture. Mais les temps ont changé.

Aujourd’hui, il ne fait pas de doute que l’augmentation de la demande en biocarburants entraîne plusieurs effets négatifs. Le professeur Fourcadet explique qu’il y a trois problèmes principaux :

  • « Tout d’abord, la demande en cultures pour les biocarburants ainsi que la garantie de leur prix élevé ont conduit les agriculteurs, notamment dans les pays en développement comme l’Indonésie, la Malaisie et le Brésil à changer d’affectation leurs cultures alimentaires, ce qui a impact sur la sécurité alimentaire locale.
  • Ensuite, les zones forestières de ces régions sont brûlées pour agrandir les terres arables et pour compenser la perte de sécurité alimentaire. Cela a un impact non seulement sur la biodiversité mais aussi sur les gaz à effets de serre car les terres déboisées ne jouent plus leur rôle de réservoir de carbone.
  • Enfin, il y a aussi un impact sociétal car les populations indigènes sont souvent déplacées pour céder la place sur la terre arable. »

Mais même s’il est extrêmement important de prendre ces problèmes au sérieux, le professeur Fourcadet reconnaît qu’adopter un pont de vue partiel, étroit et excessivement négatif sur ce problème très complexe n’est pas non plus rendre service à l’environnement. 

La question annexe de la sécurité alimentaire

« Ce qui me dérange, explique-t-il, c’est que l’on parle beaucoup des cultures pour les biocarburants mais que l’on ne parle pas assez de la production alimentaire. »

En effet, la majeure partie du débat sur les biocarburants a porté sur la notion de dette écologique. En d’autres termes, si un biocarburant réduit l’émission de gaz carbonique d’un véhicule d’un facteur x, et que la déforestation d’une parcelle de terrain en vue de la production de biocarburants réduit d’un facteur x un puits de carbone, combien de temps faudra-t-il pour que cette culture acquitte sa dette écologique ? La réalité est que parfois cela peut prendre jusqu’à 100 ans.

« La restriction à 5 % émise par la Commission européenne était d’abord destinée à limiter sa propre empreinte carbone et je pense qu’elle se concentre trop sur ce problème. La sécurité alimentaire et la nutrition sont de grands défis dans ces pays en développement ; les producteurs se concentrent sur la production de biocarburants et y affectent rapidement les terrains parce que les prix sont meilleurs. Nous avons tendance à penser que ce sont les pays riches qui posent problème, mais je pense que les gouvernements des pays émergents ont besoin d’endosser leur part de responsabilité. »

La situation se complexifie. Le changement climatique influence l’agriculture en général et comme les biocarburants sont généralement attractifs sur le plan économique, ce sont le plus souvent les cultures alimentaires qui souffrent le plus de ce changement.

La production d’huile de palme en Indonésie et en Malaisie appartient en général à des grandes entreprises ou à l’État et leur impact sociétal a été au cœur de nombreux débats récents.  Est-ce que les populations sont déplacées contre leur gré ? Est-ce que les producteurs perdent leur pouvoir de négociation ?

« De loin, il est facile de voir les aspects négatifs de ce problème. Mais pour avoir une vue d’ensemble, nous devons nous demander si des emplois ont été créés et si les populations locales ont une meilleure qualité de vie. Il peut y avoir des aspects positifs qu’il est facile de négliger.

En outre, d’autres causes se trouvent derrière le changement d’affectation des terres –je pense en particulier à la filière bovine. De manière générale, nous consommons de plus en plus de bœuf ce qui met une plus grande pression sur la production de nourriture. Le changement d’affectation des terres est un grand problème, lié à la demande générale. »

Produire plus efficacement

Les investissements à venir seront limités par le seuil de 5 % instauré par la Commission européenne. Néanmoins, il ne s’agit pas de détruire les investissements qui ont déjà été réalisés, il ne s’agit pas non plus de supprimer la capacité de production déjà existante. Le professeur Fourcadet estime qu’il faut débattre de la manière de produire plus efficacement et que  cette nouvelle régulation devrait plutôt nous encourager à considérer le problème d’une manière nouvelle.

« Nous devons penser plutôt en termes d’efficacité, déclare Olivier Fourcadet. Si nous sommes préoccupés par le fait que le Brésil brûle la forêt amazonienne, une utilisation de la terre plus efficace  dans les plantations existantes pourrait être une partie de la solution.

Certains disent que, comme il n’y a pas d’antécédents d’une utilisation plus efficace des cultures pour les biocarburants, ce n’est pas un objectif réaliste. Mais il y a plusieurs façons de considérer le problème. Par exemple, que peut-on faire de la partie de la plante non utilisée pour la production d’éthanol ? Si vous prenez un tournesol dont seules les graines ont été récoltées pour produire de l’huile de tournesol qui servira soit à l’alimentation soit à la production de biocarburant, vous pouvez produire de la farine à partir de ce qui reste. L’Union européenne encourage indirectement une meilleure utilisation des cultures qui va dans ce sens. »

La nouvelle génération de biocarburants

Les biocarburants et les solutions d’énergie propre qui leur sont liées présentent un grand potentiel qui peut facilement être négligé. Le professeur Fourcadet se sent encouragé par les possibilités présentées.

« Parmi de nombreuses autres possibilités, les algues comme source de biocarburant ont un potentiel incroyable. Nous pouvons imagine que demain nous pourrons libérer de l’espace agricole en cultivant en mer des algues riches en huile pour produire du biocarburant. Ce serait réalisable d’un point de vue économique et, en plus, les algues absorberaient le gaz carbonique. Cela pourrait être une réalité dans 20 ans.

Et encore ce n’est qu’un début. De nouvelles approches et de nouvelles technologies sont en développement constant, dans le but de changer notre manière de penser l’énergie et des réduire de manière significative notre empreinte écologique. »

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