Comment pérenniser l’engagement bénévole des salariés : une nouvelle approche contre-intuitive

Comment pérenniser l’engagement bénévole des salariés : une nouvelle approche contre-intuitive

Avec Anne-Claire Pache

Tiré de l’article “What Keeps Corporate Volunteers Engaged: Extending the Volunteer Work Design Model with Self-determination Theory Insights”, Journal of Business Ethics, 2018

Depuis plus d’une décennie, des entreprises de premier plan ont développé des programmes de bénévolat et d’engagement, dont le nombre a considérablement augmenté. Cependant, malgré l’enthousiasme qu’ils génèrent au sein des entreprises, l’impact de ces programmes pour les bénéficiaires et les organisations caritatives demeure incertain, surtout quand le bénévolat est pratiqué par les employés de façon ponctuelle ou à court terme. De fait, des interventions ponctuelles ne sont pas susceptibles de changer la donne et le côté gratifiant de l’expérience pour les salariés a tendance à se dissiper avec le temps. Par conséquent, l’impact positif pour les salariés, les entreprises et la société s’en trouvent réduits. Si la recherche s’était jusqu’à présent focalisée sur l’importance du processus “d’internalisation” d’une identité de bénévole chez les salariés, condition déterminante pour qu’ils s’engagent à long terme, une étude récente co-publiée par Anne-Claire Pache et Arthur Gautier de la Chaire Philanthropie de l’ESSEC explore les facteurs qui favorisent ce processus d’internalisation, dans un contexte d’entreprise.

Le bénévolat comme élément important d’un environnement de travail positif

Des enquêtes récentes montrent que les entreprises développent de plus en plus de programmes d’engagement pour leurs salariés, que ce soit aux États-Unis, en Europe ou en Asie, et que les salariés– les millenials en particulier – les considèrent de plus en plus comme un élément majeur d’un environnement de travail positif. Une étude conduite en 2017 par la Coalition of CEOs for Corporate Philanthropy (CECP) a montré que, parmi les 250 plus grandes multinationales, 61% d’entre elles offrent des programmes d’engagement, contre 34% en 2010.

Aux États-Unis, Timberland, un fabricant et distributeur de vêtements d’extérieur, a été pionnier en lançant son programme d’engagement en 1992. L’entreprise a commencé en offrant à chaque employé jusqu’à 16 heures payées par an pour être bénévole dans une association locale. Au vu du succès de cette initiative, le nombre d’heures fut élevé à 40 par an. En 2015, 77% des employés de Timberland participaient à ces projets. De tels programmes ne sont pas réservés aux États-Unis : on les retrouve en Europe dans la plupart des grandes entreprises, comme L’Oréal, AXA, Deutsche Bank ou British Telecom. En général, ils permettent aux salariés de travailler comme bénévoles dans des organisations non lucratives de leur territoire.

Un scénario gagnant pour tous ?

L’engagement bénévole est bon pour l’entreprise. Sa popularité croissante est due à l’impact positif qu’il a sur les entreprises qui le pratiquent. Ce type de programmes augmenterait l’efficacité des collaborateurs dans leur travail en agissant comme une « recharge positive ». En permettant aux employés d’exprimer les valeurs qui leur tiennent à cœur, le bénévolat augmente leur degré d’implication dans l’entreprise et renforce la probabilité qu’ils y restent.

L’engagement bénévole est bon pour les employés. Il est de plus en plus de preuves scientifiques que le bénévolat donne du sens aux personnes qui s’y engagent. Cela les aide à développer des compétences utiles pour leur job, comme le travail en équipe, la communication verbale et écrite, la gestion de projet et le leadership. De plus, le bénévolat permet aux employés de créer des contacts personnels avec d’autres participants qui pourraient être utiles dans leur travail.

L’engagement bénévole est aussi bon pour la société. Des études montrent que, grâce à ces programmes, les relations entre les entreprises et leurs parties prenantes s’améliorent et l’entreprise bénéficie d’une plus grande légitimité sur son territoire.

L’âme d’un bénévole en entreprise

Malgré l’enthousiasme pour ces pratiques, peu d’études se préoccupent de la capacité des programmes d’engagemente à générer un impact substantiel et pérenne sur les entreprises, leurs salariés et la société. Ainsi, lorsque le bénévolat est pratiqué de façon ponctuelle ou à très court terme par les salariés, il est probable que ses bienfaits restent superficiels et de courte durée.
En revanche, lorsque les salariés “internalisent” le bénévolat dans leur identité, ils vont certainement s’engager à nouveau, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’entreprise. Pourquoi les salariés investissent-ils du temps et de l’énergie dans des programmes d’engagement organisés par leur entreprise ? Quels facteurs expliquent que certains salariés s’engagent à long terme ? En abordant ces questions, Anne-Claire Pache, Arthur Gautier et leurs co-auteurs éclairent le « cœur du problème » : comment construire des programmes d’engagement des salariés efficaces et pérennes.

Voici le résultat de leurs recherches :

  • Les collaborateurs ressentent une forme de motivation « auto-déterminée » (ils s’engagent bénévolement par plaisir, ou parce qu’ils y attachent de l’importance) lorsqu’un programme d’engagement a du sens pour eux, lorsqu’il permet une véritable expérience collective, lorsque les salariés estiment que leurs valeurs personnelles concordent avec celles de l’entreprise, mais aussi lorsque la reconnaissance et le soutien de leur hiérarchie directe sont faibles ;
  • Au contraire, les collaborateurs ressentent une forme de motivation « contrôlée » (ils s’engagent car ils se sentent obligés de le faire, pour être récompensés ou pour éviter une sanction) lorsque la pression à participer est forte, lorsque la cause visée par le programme est prestigieuse, lorsque la reconnaissance et le soutien de leur supérieur hiérarchique sont forts, et lorsque les salariés doivent compter leurs heures de travail (statut non-cadre).

Qu’est-ce que cela veut signifie ? Les facteurs qui contribuent aux formes de motivation auto-déterminées, comme des projets qui ont du sens ou des causes choisies personnellement, encouragent chez les individus le développement d’une identité de bénévole. Au contraire, certains facteurs comme la pression exercée par l’entreprise, la reconnaissance et le soutien managérial, le décompte des heures travaillées et le prestige de la cause conduisent les employés à ressentir des formes contrôlées de motivation, ne permettent pas l’internalisation d’une identité de bénévole, si bien que les salariés ne s’engagent pas à long terme dans ces programmes.

Une approche contre-intuitive

90% des entreprises Civic 50 déclarent que leurs dirigeants encouragent les salariés à participer à un programme d’engagement au moins une fois par an. La plupart d’entre elles offrent de la reconnaissance publique et des prix à ceux qui s’engagent. Une simple recherche sur Internet suffit pour trouver de nombreux articles suggérant que de telles récompenses pour les bénévoles sont indispensables pour le succès des programmes d’engagement. Cependant, la réalité semble assez différente.

A partir d’une enquête menée auprès de 619 employés de 17 grandes entreprises françaises, l’article récemment publié par Arthur Gautier et Anne-Claire Pache suggère, au contraire, qu’une approche dans laquelle les managers valorisent et encouragent fortement leurs salariés à participer à des programmes d’engagement s’avère contre-productive,car elle contredit l’idée important que le bénévolat doit être une activité libre et désintéressée. Si les salariés se sentent contraints par leur hiérarchie d’être bénévoles, ils le feront probablement une fois et arrêteront dès que le contrôle diminuera en intensité.

Au contraire, les entreprises doivent porter une attention particulière à la façon dont elles communiquent et encouragent les activités de bénévolat et d’engagement pour éviter des effets contre-productifs. Elles peuvent par exemple prioriser des projets à fort impact et laisser les salariés choisir la cause ou l’opération pour laquelle ils souhaitent s’engager. Elles peuvent aussi apporter aux salariés de la reconnaissance symbolique de la part de la direction générale de l’entreprise, plutôt qu’une forme de reconnaissance directe pilotée par les managers.

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