L’Obsolescence programmée : un cadeau de Noël indésirable mais nécessaire ?

L’Obsolescence programmée : un cadeau de Noël indésirable mais nécessaire ?

En cette période festive, Emmanuelle Le Nagard, Professeur de Marketing et Vice-doyenne en charge de la pédagogie à l’ESSEC Business School, se penche sur l’obsolescence programmée du point de vue du consommateur et du fabricant et nous offre de quoi nourrir nos esprits avant Noël.

L’Obsolescence : durable et en évolution

L’obsolescence programmée a fait l’objet de nombreux débats ces dernières années. Les consommateurs,  les organismes de défense de ces derniers, sans parler des medias, décrient une politique qui semble mettre l’acheteur à la merci de la machine – avec des résultats parfois frappants (le grille-pain électrique qui soudainement grille en plein milieu de votre petit-déjeuner ou le chargeur de votre ordinateur qui refuse étonnamment d’accepter l’électricité et envoie des messages d’alerte sur votre écran « A acheter d’urgence » ne sont que quelques exemples du quotidien). Entre les débats animés et les récentes réglementations, le Professeur Emmanuelle Le Nagard nous éclaire sur la question avec un regard objectif sur ce qu’est exactement l’obsolescence programmée et comment elle a des répercussions sur les consommateurs et les fabricants. 

Pour Emmanuelle Le Nagard, il faut tout d’abord distinguer l’obsolescence programmée – la conception d’un produit avec une durée de vie physique délibérément limitée – de l’obsolescence perçue par le propriétaire du produit. L’obsolescence programmée suppose une stratégie préméditée de la part du producteur qui pourrait pourtant concevoir des produits plus durables, mais décide de ne pas le faire. De plus, il est difficile de dater l’obsolescence programmée, notamment parce que le producteur décide toujours de la qualité et de la durabilité et cela également en fonction du prix du produit.  De ce point de vue, le phénomène a toujours existé.

Il est également difficile de la prouver car le choix des composants et de la conception dans son ensemble intègrent des critères multiples, et pas seulement celui de la durabilité. En outre, l’obsolescence programmée concerne la possibilité de réparation du produit. Les organismes de défense des consommateurs ont, depuis de nombreuses années, étudié les produits et énuméré un certain nombre de situations où le consommateur peut avoir l’impression d’être victime des rouages de l’industrie : limitation de la durée de vie, conception qui limite la possibilité de réparation (ne jamais tenter de remplacer une ampoule des feux d’une voiture moderne ou de faire à nouveau fonctionner correctement un four à micro-ondes), obsolescence esthétique (les victimes de la mode et des dernières tendances), conception qui  nécessite une amélioration constante par l’achat d’accessoires, dates de consommation courtes (comme pour certaines denrées alimentaires par exemple), voire « obsolescence écologique » (au bout d’un certain nombre d’années, nos produits préférés deviennent un danger pour l’environnement). A ce titre, certains pays ont adopté une loi. Par exemple, en 2016, la France a introduit la « loi Hamon » qui impose aux entreprises d’informer les acheteurs du temps nécessaire à la fabrication d’un produit et de la commercialisation de ses pièces de rechange. Selon cette loi, la durée ne peut être inférieure à deux ans.

Un choix délicat pour les fabricants

Un fabricant est tiraillé entre fournir un produit désirable et de qualité au bon prix, favoriser la confiance et la loyauté, prendre soin de ses clients… et générer des revenus et assurer sa survie. On peut se poser la question suivante : pourquoi les fabricants optent-ils alors pour une obsolescence programmée lorsqu’une question d’éthique est soulevée ? L’une des réponses peut être fournie par la marge de manœuvre assez étroite qu’une entreprise peut avoir. Dans le domaine des biens de consommation durables, par exemple, lorsque le taux de pénétration (le montant des ventes d’un produit par rapport à la capacité théorique du marché d’un produit) devient maximal, la seule solution pour une entreprise est d’inciter les consommateurs de son produit à le renouveler. Deux scénarios peuvent se produire : soit le produit ne fonctionne plus, soit le client perçoit qu’il existe un meilleur produit sur le marché et veut alors l’acheter – même si l’ancien fonctionne toujours. Le fait de compter sur le premier mécanisme – celui de la réduction délibérée du cycle de vie du produit – peut être considéré comme contraire à l’éthique et mettre gravement en danger la réputation de la marque, notamment si cette durée de vie est cachée aux clients. Cependant, si une durée de vie inférieure du produit est lié à un prix plus bas – et est clairement présentée au consommateur – cela ne peut pas être considéré comme contraire à l’éthique. 

D’autre part, les entreprises peuvent également chercher, par l’innovation, à rendre un produit comparativement moins souhaitable en lançant un produit plus efficace ou plus attractif sur le marché. Le client est donc seul juge de la possibilité de remplacer le produit plus ancien. En tant que tel, ce scénario ne rentre pas dans le cadre de l’obsolescence programmée bien que certains services de défense des consommateurs puissent légitimement dénoncer un phénomène de « surconsommation ».

Le consommateur doit-il jouer le jeu ?

Paradoxalement les consommateurs doivent-ils accepter l’obsolescence programmée pour le bien de l’économie, et même de l’emploi, ou du fonctionnement de notre système ? C’est une question qui peut en effet être débattue à condition que le choix – obsolescence programmée ou non – soit clairement présenté aux consommateurs. Inutile de dire que ce n’est pas le cas actuellement et que si la transparence doit être éclairée, il faut d’abord évaluer les conséquences de l’augmentation de la durée de vie des produits sur le ralentissement de l’économie et la destruction des emplois. En outre, les coûts supplémentaires induits dans la transformation des déchets ou le recyclage des produits doivent également être pris en compte dans le calcul. Cependant, aujourd’hui, la notion d’obsolescence programmée est largement rejetée de facto par les consommateurs et le monde est donc très éloigné de ce type de raisonnement et d’acceptation. 

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Les propriétaires d’entreprises manufacturières pourraient se demander s’il existe effectivement une alternative à l’obsolescence programmée tout en assurant la durabilité de leur entreprise. Pour Emmanuelle Le Nagard, la réponse est oui. En jouant sur le côté durabilité du produit et en offrant une garantie sur la vie du produit – par exemple, en garantissant à long terme des pièces de rechange – l’entreprise peut même avoir ici l’occasion de se différencier sur le marché. On peut par exemple citer l’exemple du Smartphone modulaire proposé par FairPhone ou la stratégie mise en place par SEB sur la possibilité de réparation qu’elle considère particulièrement efficace, y compris pour l’image de marque.

L’obsolescence programmée disparaitra-t-elle sous la pression des consommateurs ? Emmanuelle Le Nagard considère que dans la réalité, à un niveau de qualité donné, le choix délibéré d’une entreprise de limiter le cycle de vie physique d’un produit est très marginal. En effet, ce serait une stratégie extrêmement dangereuse pour une marque à une époque où le pouvoir du consommateur est fort et a un impact croissant. Cependant, à un moment donné, les produits seront toujours perçus comme obsolètes, même s’ils fonctionnent encore parfaitement, car sinon cela signifierait que l’innovation n’existe plus. 

 

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