Les techniques de vente insistantes sont-elles contagieuses ? Traitez vos partenaires commerciaux comme vous voudriez qu’ils traitent leurs clients

Les techniques de vente insistantes sont-elles contagieuses ? Traitez vos partenaires commerciaux comme vous voudriez qu’ils traitent leurs clients

Votre conduite commerciale a un effet papillon : elle a probablement une portée beaucoup plus importante que vous n’auriez pu l’imaginer. Richard McFarland, Professeur de Marketing à l’ESSEC Business School, partage sa recherche sur un nouveau concept qu’il appelle « la contagion de la chaîne logistique »

Imaginez la scène. Deux personnes : un vendeur, un acheteur. Cette scène pourrait se dérouler chez un grossiste, dans la salle de réunion d’un prestataire de services, voire un dans magasin. Le vendeur s’approche de plus en plus. Son sourire accueillant est peu à peu remplacé par un discret mais perceptible regard qui annonce : « Je passe à l’attaque ». Il est peu surprenant que l’acheteur se sente comme une proie. Le vendeur augmente la cadence, déroule ses arguments sans laisser à l’acheteur le temps de répondre, il parle de plus en plus fort, il est de plus en plus insistant. Intimidé, l’acheteur se rend compte que c’était une erreur d’organiser cette réunion. Et qu’il aura beau succomber et sortir son portefeuille, il ne reviendra plus jamais. 

Sans aucun doute, nous nous sommes tous déjà trouvés dans cette situation. En négociation avec un fournisseur, en tant que distributeur pour des commerçants, voire hors d’un cadre professionnel, en faisant du shopping le weekend. L’expérience laisse un souvenir amer et la certitude que le vendeur ne nous reverra plus. Et on poursuit sa route. 

A deux c’est une fête, à trois c’est un réseau social

Qu’en serait-il si un troisième personnage rejoignait la scène? Voire un quatrième. Etrange, non ? Car nous avons tendance à imaginer que le scénario vendeur-acheteur se joue à deux. Pour en revenir au vendeur, imaginons cette personne, ou cette entreprise, comme le maillon d’une chaîne. Il se peut qu’on trouve dans cette chaîne le fournisseur de matières premières, le fabricant des pièces, le fabricant du produit, le distributeur, le grossiste – sans compter l’utilisateur final. Cette chaîne représente un écosystème d’acteurs analogue à un réseau social, chacun ayant des interactions sociales, attitudes et relations le long de la chaîne. Ces interactions sont importantes. 

Richard McFarland, ESSEC, va au-delà des recherches traditionnelles qui ont tendance à se baser sur les relations d’entreprise à entreprise. Avec James M. Bloodgood et Janice Payan, McFarland a mené vingt-trois interviews sur le terrain avec des revendeurs et grossistes opérant dans quatorze industries dans différentes régions des Etats-Unis, et a collecté des sondages auprès de managers régionaux d’un grand fabricant d’équipement agricole, incluant dans son étude plus de 300 de leurs transactions de vente, et des centaines de clients ayant pris part à ces transactions. L’objectif était de regrouper des données sur les interactions en amont et aval de la chaîne logistique, et étudier dans quelle mesure des relations commerciales bénéfiques sont le fruit de l’imitation de bonnes pratiques, et l’effet domino de la propagation de ces comportements dans les futures relations qu’entretiendront ces acteurs. 

Sur les ailes d’un papillon

Les résultats étaient probants : les revendeurs traitaient en grande partie leurs clients finaux de la même façon qu’eux-mêmes étaient traités par les managers régionaux de leurs fournisseurs. Si les expériences étaient positives et leurs relations fructueuses, alors les bienfaits de cette relation se répandaient tout au long de la chaîne. Si l’expérience était négative, alors cet impact était également répercuté, donnant lieu à une éventuelle rupture des échanges.

Ce que McFarland appelle la “contagion” peut donc avoir des conséquences positives comme négatives. Par ailleurs, des études révèlent que cela peut arriver malencontreusement, sans pour autant que la partie prenante concernée ne s’en rende compte. Par exemple, des fabricants et fournisseurs peuvent être en train d’influencer malgré eux les comportements en aval des organisations qui gèrent et commercialisent leurs produits, et parfois au détriment de leurs objectifs. 

Quelles en sont les implications pour les affaires? Peut-être devrait-on proposer une nouvelle règle d’or : « Traitez vos partenaires commerciaux comme vous voudriez qu’ils traitent leurs clients». Alors que les entreprises cherchent de plus en plus à améliorer la conception, la production, la distribution, et le marketing des produits, nous sommes amenés à mesurer l’importance de la compréhension des facteurs qui déclenchent des relations fructueuses, et à essayer de construire des environnements et comportements qui les rendent possibles. 

Comprendre la contagion 

Des études partagent de nombreuses clés pour comprendre le phénomène de contagion. Premièrement, le comportement des membres de la chaîne envers une autre entreprise de la chaîne est en partie façonné par les valeurs et les comportements de leur propre entreprise. Par exemple, si l’on compte parmi les valeurs d’entreprise le respect et l’intégrité, il est alors probable que ces valeurs se manifestent au cours des transactions avec des parties prenantes externes à l’entreprise. De même, les personnes et les entreprises – comme les enfants – recherchent des modèles de comportement chez autrui, particulièrement en période de doute. En termes de chaîne logistique, la recherche de McFarland a démontré que, dans le cas d’un contexte d’incertitudes, les intermédiaires sont d’autant plus susceptibles d’imiter les stratégies d’influence utilisées par les fabricants sur les autres parties prenantes. 

On peut observer un exemple concret dans les interviews menées par le chercheur avec un producteur de boissons alcoolisées qui utilisait une stratégie d’influence « douce » avec des distributeurs en aval. Il mettait en avant la principale valeur de son produit, c’est à dire son image exclusive (qui fournirait au distributeur un élément différenciateur par rapport à ses concurrents). Le résultat était que le distributeur utilisait en retour ce même argument de « l’image exclusive » avec ses clients finaux, même lorsque certains de ses clients ne considéraient pas l’exclusivité comme un atout majeur et, dans certains cas, même lorsque les consommateurs la considéraient comme indésirable (par exemple, des consommateurs qui souhaitent se fondre dans la masse plutôt que d’être différents).

Les relations interpersonnelles sont aussi importantes. Des similarités entre les professionnels – en termes d’expériences, secteur, produits, ou valeurs communes – et la fréquence d’échange entre eux, aident au développement de leur relation et leur confiance. Une fois que la confiance est installée, on assiste à un effet miroir des comportements et une forme de dépendance entre les acteurs, qui pourront ensuite être transmis à d’autres personnes et organisations de la chaîne.

La prise de conscience mène à l’action 

Revenons à l’exemple du vendeur agressif cité au début de l’article. Les techniques de vente insistantes sont-elles contagieuses ? Elles pourraient l’être – et si c’est le cas, il est probable que les conséquences soient désastreuses en termes de pertes commerciales et image. Mais imaginez que le vendeur prenne conscience du phénomène de contagion de la chaîne. Soudain, il arrête d’harceler l’acheteur et cherche une nouvelle approche, en espérant rassurer ce-dernier et mener un échange constructif sur la vente. Il pense désormais à ses collègues qui ont une attitude positive envers leurs clients potentiels. Il se souvient aussi des cinq règles de conduite envers les clients développées par son entreprise. Et, encore mieux, lorsqu’il s’apprête à parler à nouveau, il découvre que l’acheteur et lui sont passés par la même école, accordent la même importance à la qualité du produit, et que même si la vente ne se fait pas aujourd’hui, ce serait formidable de se retrouver pour en parler autour d’un café. La contagion est lancée. Et elle est bénéfique. 

Si l’on applique cet exemple aux chaînes logistiques, c’est en prenant conscience du phénomène de contagion de la chaîne que les managers et employés qui interagissent avec d’autres entreprises pourront être mieux armés. Non seulement pour influencer de manière stratégique leurs partenaires, mais aussi pour se parer contre l’imitation involontaire d’autres acteurs de leur chaîne de production. 

 

Liens utiles : 

ESSEC Knowledge: Cutting-edge research – made practical    

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