Comment l'intelligence émotionnelle influe sur votre salaire

Comment l'intelligence émotionnelle influe sur votre salaire

Basé sur un article de recherche “A time-lagged study of emotional intelligence and salary” publié avec Joseph C. Rode (Miami University, Ohio), Marne Arthaud-Day (Kansas State University) et Satoris Howes (University of Portland), dans Journal of Vocational Behavior.

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Le moment est tendu. Un manager vient vous voir avec une réclamation  – justifiée : en effet, vous venez de réduire par deux le budget dédié à son projet. «Asseyez-vous» : proposez-vous. Les secondes de silence, alors qu'il est assis et vous regarde directement, présagent un moment difficile à passer. Jusqu'à ce que vous déclariez calmement : «Mike, je pense que vous avez une parfaite compréhension de cette question. Comment pensez-vous que nous pouvons dissiper les craintes liées au délai et atteindre nos objectifs ? » Mike a l'air surpris et répond alors : «Comment saviez-vous que je ne suis pas ici pour l'argent, mais pour parler du résultat ?» Vous baissez le regard, faites un signe de tête en retour, le regardez de nouveau et souriez. « Mike, je sais ce que vous ressentez. J’ai déjà été à votre place par le passé... » Simultanément, les mots « peut-être que je pense aussi avoir un excellent sens de la compréhension » semblent peser au-dessus de votre tête.

Cet exemple est peut-être un peu caricatural mais, selon nos recherches, il est probable que si vous démontrez un important degré d'intelligence émotionnelle (EI) au travail, votre rémunération augmentera.

Le qui, quoi, où et pourquoi ?

L'intelligence émotionnelle se  décrit comme un ensemble de compétences qui peuvent être utilisées pour évaluer avec précision l'expression des émotions, gérer ses propres émotions et celles des autres, et utiliser ce sentiment pour motiver, planifier et réussir.

Même avant la publication du livre Emotional Intelligence: Why It Can Matter More Than IQ de David Goleman en 1995 qui a permis de rendre la notion plus visible, il y a eu beaucoup de recherches sur l’intelligence émotionnelle et son lien supposé avec les résultats allant de la réussite au leadership, au succès et au management efficace d’une équipe. Et pourtant, la plupart des recherches antérieures et postérieures ont échoué sur la relation entre l’intelligence émotionnelle et la réussite professionnelle, ou encore se sont axées sur les  résultats à court terme tels que le rendement et la satisfaction au travail. En règle générale, les résultats de ces recherches se sont révélés décevants, ce qui a conduit à la conclusion que l'intelligence émotionnelle a peu d'importance dans les mesures à plus long terme de la réussite professionnelle.

Toutefois, dans ce nouvel article de recherche, nous avons décidé de développer un modèle qui étudie l'effet de l’intelligence émotionnelle sur la réussite professionnelle. Nous avons utilisé des données provenant de 126 anciens élèves d'une grande université des États-Unis de l'Ouest. Ils nous ont fourni des données au cours de leurs études de premier cycle et après leur insertion à plein temps dans diverses industries sur une période de dix ans.

Ceci est important – pour les experts en développement de carrière, les dix premières années de la vie professionnelle sont les plus importantes pour les jeunes diplômés de s’établir, de travailler à leur réussite personnelle et professionnelle : d'où la nécessité d'une bonne dose d'intelligence émotionnelle, notamment pour constituer une réserve utile de capital social. En tant que tel, notre article de recherche apporte une contribution pratique significative en établissant une relation empirique entre une mesure fondée sur l'habileté de l'intelligence émotionnelle avant d'entrer sur le marché du travail et un indicateur objectif de réussite professionnelle plusieurs années plus tard. Alors, comment sommes-nous arrivés à cette observation ?

Utiliser les connaissances sociales pour vous différencier

Nous avons tout d'abord commencé par étudier trois hypothèses : l’intelligence émotionnelle est positivement liée au salaire, le mentorat arbitre la relation entre l’intelligence émotionnelle et le salaire, et enfin l'impact de l’intelligence émotionnelle sur le salaire sera plus fort aux niveaux organisationnels supérieurs qu'aux niveaux inférieurs. Dans les trois cas, notre recherche a soutenu ces hypothèses. Mais comment?

N’êtes-vous jamais demandé pourquoi et comment le collègue X dans le couloir a soudainement migré vers le penthouse de la haute direction au dernier étage alors que vous non, même si vos résultats ont démontrés que vous étiez tout aussi bon ? Si vous le faites, vous obtiendrez une image de l'ensemble du système au travail – qui, de nos jours, ressemble plus à un réseau de fils électriques qu’à un organigramme clair, stable et réglementé qui se trouve sur le mur de votre bureau. Vous pourriez également comprendre, à mesure que votre conscience grandit, que ce qui est important dans un tel écosystème, si vous voulez faire avancer les choses et que l'entreprise avance, c'est la coopération sociale. Cela signifie construire des relations solides et interpersonnelles, utiliser des compétences en réseau et démontrer une bonne volonté politique. Autant d’objectifs tous essentiels à la réussite professionnelle à long terme dans une entreprise moderne où les emplois ne sont pas statiques et nécessitent un accès à l'information et au soutien dans toute l’entreprise. En tant que tels, compte tenu de leur capacité accrue à identifier et à comprendre l'importance des émotions et à les utiliser de manière stratégique dans les communications et les connaissances, les personnes ayant une forte intelligence émotionnelle sont susceptibles de devenir plus profondément intégrées dans le réseau social de l'entreprise, d'accéder à l'information et à des collègues compétents, et ainsi améliorer leurs performances – ce qui entraîne une plus grande compensation.

Un conseiller vous rend plus sage 

Certains d'entre nous ont eu la chance d'avoir des mentors plus nobles et positifs que d'autres. Une première étape extrêmement utile et novatrice dans les mécanismes d'une organisation, est que la capacité d'intelligence émotionnelle s'avère essentielle pour faire la différence et faire fonctionner le mentorat. Habituellement, le mentorat repose sur un collègue plus expérimenté qui accepte, officiellement ou non, de montrer aux nouveaux arrivants les codes. Cela implique une contribution de temps, d'énergie et de ressources pour la carrière et le développement personnel du junior. Ici, l’intelligence émotionnelle aide de plusieurs façons : les individus à l’intelligence émotionnelle élevée sont plus ouverts aux commentaires et aux remarques en cas de faible performance, les individus à faible taux d’intelligence émotionnelle étant moins disposés à s'auto-améliorer. En outre, la capacité des individus dotés d’intelligence émotionnelle à percevoir, à comprendre et à gérer les émotions les aide énormément à faire face à des situations complexes interpersonnelles et génératrices d'anxiété – imaginez un mentor, trop stressé qui exprime sa frustration. Cela doit être efficace et calmement traité. Et enfin, le mentorat est une entente à double sens qui implique des décisions de mentor c’est-à-dire non fondées sur les coûts et les bénéfices. Les mentors préfèrent évidemment miser sur des protégés perçus comme étant forts dans les compétences interpersonnelles, dotés d'un fort sentiment de conscience de soi et possédant une volonté d'auto-amélioration. Autrement dit, les nouveaux débutants dotés de l’intelligence émotionnelle sont plus attrayants pour les mentors potentiels.

Plus vous allez haut, plus vous allez dans l’émotion

Alors que l’intelligence émotionnelle est importante à tous les stades d'une carrière, nous soutenons qu’elle devient d'autant plus importante lorsque vous grimpez dans l’entreprise. Cela s'explique par le fait que la nature de la fonction manager-leader change, en passant d'un rôle opérationnel à un rôle plus stratégique. Et qui parle de stratégie, parle de l'importance de convaincre, d'inspirer, de persuader, d'établir des rapports et de la confiance, et de gérer l'incertitude et le stress. Dans ce contexte, nous précisons que l’intelligence émotionnelle aura un impact plus important sur les salaires aux niveaux organisationnels supérieurs : les émotions sont, en effet, directement liées à la structure de pouvoir des relations sociales, souvent utilisées pour véhiculer des situations sociales. En outre, la capacité de former des réseaux solides est primordiale pour parvenir à un consensus et faire avancer des idées et est tout aussi utile lorsqu'il s'agit de prendre des décisions macroéconomiques. En effet, nos résultats de recherche indiquent qu'il existe une corrélation claire entre l'impact de l’intelligence émotionnelle et le salaire, d'autant plus lorsque vous progressez dans les niveaux organisationnels de votre entreprise.

Soyons pratiques

Les implications pratiques de notre recherche s'étendent au-delà de la simple indication que les cadres passionnés devraient commencer à développer leurs compétences en intelligence émotionnelle. D'une part, les fonctions de développement des ressources humaines au sein des organisations pourraient adapter les parcours professionnels afin de s'assurer que les employés et les profils à haut potentiel possèdent les compétences et le soutien nécessaires à la réussite professionnelle. D'autre part, alors que l’intelligence émotionnelle peut se développer tout au long des études et de l'expérience de vie d'une personne, les résultats de la recherche indiquent qu’elle est particulièrement utile au début de carrière comme un bon augure de la réussite professionnelle à plus long terme. En tant que tel, l'éducation – la formation pratique, mais plus particulièrement les écoles de management – souhaiterait peut-être en tenir compte lors de la conception de nouveaux programmes pour leurs promotions de jeunes managers et leaders qui dépassent la maîtrise du contenu purement académique et théorique. En outre, les organisations à la fois dans les secteurs de l'éducation et des entreprises seraient sages de se concentrer sur les compétences socio-émotionnelles ainsi que sur les compétences cognitives pendant le processus de sélection des étudiants et des employés.

Enfin, il est possible de renforcer et d'encourager le rôle du mentorat sur la carrière – et l'importance de la capacité de l'intelligence émotionnelle pour accéder et maintenir des relations de mentorat efficaces. Cela suggère non seulement un rôle important pour les programmes de mentorat parrainés par l’entreprise, mais un effort visant à offrir des tâches de mentorat pour les personnes moins émotionnellement intelligentes qui intègrent le coaching interpersonnel et la formation en compétences sociales.

Contre cela, l'héritage du « manager rationnel » reste dans de nombreuses entreprises. Dans cette mentalité, les décisions et les initiatives commerciales « correctes » sont jugées impropres à toute interférence de nature non logique. Pourquoi ne pas demander à un responsable rationnel leur rémunération ? On ne sait jamais – ils peuvent être très émotifs à ce sujet.

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