L’entrepreneuriat social

L’entrepreneuriat social

Avec ESSEC Knowledge Editor-in-chief

L’amélioration de la société nécessite un effort collectif, et l’entrepreneuriat social a pour vocation d'apporter sa contribution : il s’agit d’individus et d’organisations qui s'attaquent à un problème de société. Ce concept existe depuis les années 1950, mais ce n’est qu’au cours de la dernière décennie qu’il a commencé à susciter l’intérêt des chercheurs. La croissance rapide, la nature émergente de la recherche sur l’entrepreneuriat social et le fait que l’entrepreneuriat social s’appuie sur différentes disciplines et différents domaines (entrepreneuriat, sociologie, économie, éthique) ont conduit à une littérature fragmentée sans cadre dominant. 

Les professeurs Tina Saebi (Norwegian School of Economics), Nicolai Foss (Copenhagen Business School) et Stefan Linder (ESSEC Business School) ont analysé les recherches existantes afin d’identifier un cadre et de définir les orientations futures, en soulignant la nécessité d’une approche holistique.

Qu’est-ce qui rend l’entrepreneuriat social unique ?

Qu’est-ce qui distingue l’entrepreneuriat social d’autres phénomènes connexes comme la RSE, la philanthropie et la durabilité ? Saebi, Foss et Linder ont cherché à trouver un terrain d’entente entre les définitions existantes.

Ils ont constaté que la nature hybride de l’entrepreneuriat social le distingue. L’entrepreneuriat commercial se concentre sur l’aspect économique de la création de valeur : identification des opportunités, mobilisation des ressources, etc. Dans l’entrepreneuriat social, la rentabilité va de pair avec la résolution d’un problème social.

De même, l’entrepreneuriat social diffère de la RSE en ce que cette dernière est une extension de l’activité commerciale traditionnelle d’une entreprise pour atteindre ses parties prenantes et dans le but d’augmenter le profit. Les organisations caritatives et sans but lucratif sont également différentes, car leur financement provient généralement de sources externes. Par conséquent, leurs initiatives sociales n’entrent pas en concurrence pour les ressources avec les initiatives à but lucratif.

Les chercheurs ont donc exploré l’idée selon laquelle « la double mission de création de valeur sociale et économique reflète la caractéristique essentielle de l’entrepreneuriat social » (Saebi et al., 2019, p. 22).

Comment classifier l’entrepreneuriat social ?

Les entreprises sociales peuvent être classées avec deux dimensions : leur mission sociale et leur mission économique.

La dimension sociale fait référence au fait que les bénéficiaires participent activement au modèle de l’entreprise sociale. Aravind, qui fournit des soins ophtalmologiques gratuits dans les zones rurales de l’Inde, est un exemple où une valeur sociale est créée pour les bénéficiaires. Dans l’autre modèle, la valeur est créée avec les bénéficiaires, comme Unicus, un cabinet de conseil norvégien qui emploie des personnes atteintes du syndrome d’Asperger. 

La dimension économique est le degré d’intégration des activités sociales et commerciales. Par exemple, les activités commerciales peuvent subventionner les activités sociales. Ou bien, l’activité sociale capte la valeur économique, comme dans le cas de Grameen Bank, qui fournit des microcrédits sans garantie à la population rurale du Bangladesh.

En combinant ces deux dimensions, on obtient une matrice à quatre quadrants, illustrée dans la figure 1.

Figure 1. Une typologie de l’entrepreneuriat social

Dans le quadrant A, on trouve les entreprises sociales dotées d’un « modèle de valeur bilatéral », comme les chaussures TOMS, qui donnent une paire de chaussures à un enfant dans le besoin pour chaque paire achetée. Dans le quadrant B, les entreprises emploient des bénéficiaires pour produire des biens ou des services vendus sur le marché commercial. Par exemple, le restaurateur britannique Jamie Oliver a formé et employé des jeunes défavorisés dans son restaurant et a utilisé les revenus pour financer la formation. Dans le quadrant C, les bénéficiaires sont des clients payants. Enfin, dans le dernier quadrant, les bénéficiaires sont à la fois des clients internes et externes — VisionSpring offre les lunettes de qualité à des prix abordables et emploie les bénéficiaires également dans la vente et la distribution.

Pour clarifier les facettes de l’entrepreneuriat social, les chercheurs ont examiné 395 articles, en se concentrant exclusivement sur l’entrepreneuriat social et en excluant les articles sur l’entrepreneuriat durable, développemental, institutionnel ou l’entrepreneuriat en général. Les chercheurs ont identifié les facteurs qui ont affecté l’entrepreneuriat social à trois niveaux distincts - individuel, organisationnel et institutionnel - et les lacunes de la recherche.

Comme les phénomènes de gestion sont souvent multidimensionnels, les chercheurs ont élaboré un cadre multi-étapes et multi-niveaux pour intégrer les différents niveaux d’analyse. S’inspirant de la théorie, ce cadre est divisé en deux étapes - avant et après la création de l’entreprise.

Avec ce cadre, les chercheurs ont établi un lien entre l’effet du macro-environnement et les objectifs et croyances de l’individu (mécanismes situationnels), l’effet de ces objectifs sur le comportement individuel (mécanismes de formation de l’action) et l’effet de ces derniers sur la réalisation de changements plus larges (mécanismes transformationnels).

Ceux-ci décrivent les relations qui affectent les trois niveaux d’analyse. Il est nécessaire d’approfondir ces mécanismes, tant avant qu’après la création de l’entreprise, pour combler les lacunes de la recherche et découvrir ce qui fait fonctionner les entreprises sociales.

Comprendre les niveaux d’analyse

Au niveau individuel, la théorie suggère que l’un des traits essentiels des entrepreneurs sociaux est une personnalité prosociale (l’inclination à faire preuve d’empathie envers les autres), associée à des qualités qui favorisent l’esprit d’entreprise, comme l’auto-efficacité et l’expérience professionnelle au sein d’organisations sociales.

La différence se situe entre l’action et l’intention. Les entrepreneurs sociaux doivent trouver des ressources, obtenir du soutien et créer leur entreprise. Une autre question pertinente est comment l’entrepreneur crée de la valeur après avoir obtenu le feu vert, en examinant les facteurs de niveau organisationnel lors de la phase de création de l’entreprise.

Les analyses au niveau organisationnel se sont concentrées sur la capacité de financer une entreprise, l’importance du réseautage et la capacité de commercialisation. Étant donné que cette recherche est basée sur des cas concrets, on en sait peu sur les caractéristiques communes qui peuvent faire ou défaire une entreprise sociale, et si ces facteurs sont différents pour les entreprises commerciales.

La nature hybride entraîne des désaccords qui doivent être résolus pour que l’entreprise prospère. Cela peut se faire de diverses manières, par exemple en embauchant des managers qui acceptent cette hybridité. Le mandat de l’entrepreneuriat social exige d’examiner les types existants d’entreprises sociales et les problèmes potentiels.

D’autres questions portent sur le lien entre le type de modèle d’entreprise et la structure juridique et organisationnelle, la gestion de l’entreprise, le choix d’un modèle particulier, et l’impact du choix du modèle sur le succès de l’entreprise.

Les recherches montrent que lorsque le secteur privé ne répond pas aux demandes de la société, des entreprises sociales se créent. Celles-ci s’attaquent à un large éventail de problèmes, notamment la réduction de la pauvreté, l’autonomisation des femmes et la croissance inclusive.

La mesure de l’impact des différents types d’entreprises sociales varie d’une entreprise à l’autre, mais toutes les entreprises sociales partagent le même objectif général : résoudre un problème social tout en restant rentable. À cette fin, il faut développer un cadre commun pour jauger et évaluer l’efficacité de ces entreprises. Ce vide peut être comblé par les institutions, avec lesquelles les entreprises sociales peuvent travailler, et ainsi établir des paramètres clés acceptés par le monde universitaire et applicables à de multiples contextes.

Les prochaines étapes

Nous savons que les individus peuvent avoir un impact important et qu’ils sont influencés par leur expérience personnelle, ce qui influe sur le rôle qu’ils veulent jouer, le type de problème qu’ils veulent résoudre et leur capacité à identifier une opportunité et à agir. Nous avons besoin de plus de recherches pour comprendre comment exactement un individu influence une entreprise et le processus qu’il suit.

La recherche s’est largement concentrée sur les individus plutôt que sur les équipes entrepreneuriales. Cela laisse une lacune dans la recherche sur la façon dont la dynamique de l’équipe affecte le type de mission sociale, la conception de l’entreprise sociale, la motivation et la capacité à obtenir des financements et à traduire la pensée en action. Il faut également examiner la manière dont les différents niveaux, comme les facteurs individuels et organisationnels, interagissent.

Le lancement de l’entreprise n’est qu’un début. Nous avons besoin de plus de recherches et de connaissances pratiques sur les relations entre les motivations individuelles et la valeur sociale créée, en particulier compte tenu des conflits de décision et de ressources qui peuvent découler de l’hybridité du modèle. Il est également important d’analyser comment d’autres incitations, telles que les certifications pour les entreprises qui se conforment à des normes élevées, peuvent affecter la motivation. 

Comme ces entreprises nécessitent un travail d’équipe, il est important  d’étudier l’entrepreneuriat social au niveau organisationnel en utilisant, par exemple, une perspective ethnographique. Cela signifie qu’il faut étudier les questions qui mettent en lumière le côté humain, comme la hiérarchie organisationnelle, les compétences de communication et la délégation des tâches.

La vue d’ensemble

Des travaux supplémentaires sont nécessaires pour comprendre les aspects négatifs potentiels de l’entrepreneuriat social, mais nous ne devons pas perdre de vue le tableau d’ensemble : les entreprises sociales existent pour améliorer la société, petit à petit.

À cette fin, la recherche devrait également examiner si et comment ces entreprises changent la société en créant de la valeur plutôt qu’en la distribuant d’un groupe à l’autre. Le cadre décrit ici fournit une base pour les recherches futures et pour les entreprises sociales afin de mieux comprendre l’entrepreneuriat social.

Référence 

Saebi, T., Foss, N. J., & Linder, S. (2019). Social entrepreneurship research: Past achievements and future promises. Journal of Management, 45(1), 70-95.

Cet article a paru initialement dans The Council of Business and Society.

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