Vendre à l’ère numérique : Comment les tactiques de vente personnalisées peuvent être automatisées sur Internet

Vendre à l’ère numérique : Comment les tactiques de vente personnalisées peuvent être automatisées sur Internet

Avec ESSEC Knowledge Editor-in-chief

Dans cet article, le professeur Richard McFarland décrit comment il a mis en place et piloté avec ses collègues une méthode de vente automatique adaptée pour les boutiques en ligne, permettant aux sites d’e-commerce d’utiliser les mêmes tactiques d’influence que les commerciaux dans leurs interactions physiques. Ses recherches innovantes ont été récemment récompensées par le Emerald Literati Award des éditions Emerald.

Scénario 1 : vous entrez dans un magasin à la recherche d’un produit spécifique et vous en ressortez finalement avec beaucoup plus de produits dans votre sac — le vendeur a,  semble-t-il, juste posé les bonnes questions et apporté une aide précieuse.

Scénario 2 : vous surfez sur Amazon et on dirait que le site a vu juste. Vous finissez par ajouter beaucoup plus dans votre panier que le produit que vous vouliez acheter à l’origine, à partir des produits « recommandés pour vous ». Mais comment Amazon a-t-il fait pour vous attirer ?

Dans le premier scénario, vous avez fait l’expérience d’une stratégie appelée la vente adaptée, c’est-à-dire que les commerciaux adaptent leur technique de vente en fonction de vous… Dans le second scénario, le vendeur a utilisé une expérience de shopping customisé fondée sur vos habitudes de navigation.

L’« art de vendre » est un sujet brûlant depuis des décennies : une recherche Google rapide fait apparaître 3 milliards de résultats pour l’expression, et on ne compte plus les articles, podcasts et vidéos consacrés à la maîtrise de la vente. Grâce à cet intérêt et à des recherches dédiées, nous savons maintenant beaucoup sur les raisons du succès d’un commercial. Avec l’arrivée de l’ère du numérique, en revanche, l’art de la vente devient un peu plus compliqué. Les commerciaux utilisent souvent des techniques adaptées, c’est-à-dire qu’ils adaptent leur stratégie de vente à un consommateur spécifique, un processus qui demande de poser des questions, de décrypter les réactions du consommateur et d’ajuster en fonction de chacun. Les magasins en ligne ont mis du temps à suivre, bien que beaucoup utilisent déjà dans une certaine mesure la customisation d’Internet, par exemple les « produits suggérés » que vous voyez dans la barre latérale. L’utilisation de la vente adaptée sur Internet, déjà mentionnée, est moins répandue : les vendeurs manquent une occasion de personnaliser l’expérience shopping de chaque consommateur de façon unique à la manière des commerciaux dans leurs interactions en face à face. Des décennies de recherche ont montré que ce genre de stratégie de vente est extrêmement efficace, ce qui la rend désirable pour les commerçants en ligne aussi. En pilotant une façon innovante d’utiliser la vente adaptée automatisée en ligne, le professeur Richard McFarland (ESSEC Business School) et ses collègues Maurits Kaptein (Jheronimus Academy of Data Science, Tilburg University) et Petri Parvinen (FAF University of Helsinki, DIEM Aalto University) montrent qu’il est possible d’implémenter une vente automatique adaptée sur Internet, et que c’est plus efficace que les tactiques de customisation.

Qu’est-ce que la vente adaptée ?

La vente adaptée est une stratégie utilisée par les commerciaux pour adapter leur stratégie de vente et leur tactique à partir du consommateur. Le processus est appelé le modèle ISTEA [1] : la formation d’impression (I), la formulation de la stratégie (S), la transmission du message (T), l’évaluation de l’effet de la tentative de vente (E), et l’ajustement conséquent (A). Pendant la formation d’impression, le commercial évalue le consommateur, en prenant en compte ses émotions, ses relations, ses besoins et ses préférences (I). À partir des informations collectées pendant cette étape, il élabore une stratégie ajustée à la personne, en choisissant les tactiques d’influence les plus efficaces (S). Ensuite, il délivre le message de la manière qu’il juge la plus adaptée à cette personne (T). Enfin, il évalue son efficacité, en observant la réaction du consommateur (E) et en adaptant sa technique si nécessaire (A).

Les commerciaux qui excellent dans la pratique du processus de vente adaptée sont généralement meilleurs et ont un plus grand taux de satisfaction des consommateurs [2]. Le professeur McFarland et ses collègues se sont concentrés sur trois des six tactiques répertoriées dans la taxinomie des tactiques d’influence [3] : la preuve sociale, la rareté et l’autorité. La preuve sociale fait appel au souhait commun d’adhérer aux normes sociales, par exemple en se fiant aux meilleures ventes. Le principe de rareté signifie que les gens sont souvent attirés vers ce qu’ils pensent être rare, donc en disant qu’un produit est « une offre limitée » ou « presque en rupture de stock », il devient plus désirable. Les gens ont aussi tendance à écouter des figures d’autorité, d’où le principe d’autorité : avec l’argument que « 4 dentistes sur 5 recommandent ce dentifrice » ou en ayant l’approbation d’une célébrité, le produit devient le « bon » choix aux yeux du consommateur. Il est important de noter que, alors que les individus ont tendance à être cohérents dans les tactiques d’influence qui leur semblent les plus pertinentes, il existe des différences entre consommateurs. En d’autres termes, si le consommateur a montré qu’il est très réceptif à la preuve sociale, ce sera probablement le cas dans d’autres types de ventes, mais cela ne veut pas dire que la preuve sociale sera aussi efficace pour le consommateur B.

En utilisant les tactiques d’influence et le cadre de l’ISTEA, les commerciaux peuvent ajuster l’expérience d’achat de la manière la plus efficace à leurs yeux pour le consommateur.

Comment appliquer la vente adaptée sur Internet ?

Étant donné que la vente adaptée est, par nature, personnalisée, l’application à un environnement plus impersonnel en ligne peut sembler contre-intuitive, comme les échanges interpersonnels sont complètement écartés de l’équation. Pourtant, cet aspect peut être perçu comme un avantage, dans la mesure où toute possibilité d’erreur humaine est écartée et le processus peut être automatisé. C’est une étape essentielle qui a été négligée par de nombreux vendeurs, malgré la popularité croissante du shopping en ligne. Le professeur McFarland et ses collègues ont cherché à comprendre cet écart. En partenariat avec trois entreprises pour évaluer leur méthode de vente adaptée automatique, ils ont mesuré leur succès en comparant le taux de clic des consommateurs dans différentes conditions.

 Pour mettre en œuvre la vente adaptée sur Internet, les chercheurs ont élaboré un algorithme à partir du cadre de l’ISTEA qui détermine expérimentalement les meilleures tactiques de vente à utiliser. Dans l’étape de formation d’impression, l’algorithme forme une impression de chaque nouveau consommateur à partir des consommateurs précédents et l’utilise pour calculer la probabilité de succès de chaque technique, en créant un profil du consommateur, ensuite utilisé pour ses visites ultérieures sur le site (I). Ensuite, l’algorithme expérimente automatiquement avec les différentes tactiques de vente, entre l’utilisation de tactiques de ventes qui ont déjà prouvé leur efficacité ou une alternative qui pourrait être plus efficace pour ce consommateur en particulier (S). Puis un message fondé sur la tactique d’influence sélectionnée s’affiche sur la page Internet (T). L’évaluation se fait à partir du taux de clic, c’est-à-dire le taux de consommateurs qui cliquent sur le produit, pour le regarder en détail ou pour l’ajouter à leur panier (E). Enfin, l’algorithme ajuste le profil du consommateur à partir de son comportement en termes de clics (A). Le système s’adapte en temps réel au comportement du consommateur, c’est-à-dire qu’il est customisé sur la base des clients individuels, ce qui est nouveau dans le paysage du e-commerce.

Après avoir testé l’algorithme dans des études de simulation, les chercheurs l’ont testé dans trois expérimentations sur le terrain, chacune avec trois conditions. Dans la première condition, les consommateurs ont été exposés à la méthode de vente automatique adaptée comme décrite ci-dessus. Dans la seconde, c’était une petite entreprise de lingerie, utilisée pour tester l’efficacité de l’algorithme sur un site à plus petite échelle. Dans ces environnements, les tactiques d’influence ont pris la forme d’un texte au-dessus de l’image du produit : soit « notre choix » (autorité), « meilleure vente » (preuve sociale) ou « en quantité limitée » (rareté), ou sans étiquette dans la condition neutre (pas de tactique d’influence). Dans la troisième expérimentation, le marchand était spécialisé dans les ventes flash. Le professeur McFarland et ses collègues ont complexifié le processus : l’algorithme utilisait des tactiques d’influence à plusieurs endroits sur la page Internet, montrant ainsi à quel point il était sophistiqué.

Les chercheurs ont conclu que, bien que choisies au hasard, l’utilisation de tactiques d’influence était plus efficace que de ne pas y avoir recours. De plus, l’utilisation de processus de vente adaptée automatique est plus efficace que celle des tactiques d’influence choisies au hasard. Ainsi, les vendeurs devraient un minimum incorporer des tactiques d’influence sur leur site, et pour en tirer le meilleur parti, ils devraient implémenter un système qui adaptera la tactique au consommateur en train de naviguer.

 Où aller maintenant ?

Le succès du processus de vente adaptée automatique piloté par le professeur McFarland et ses associés est un début prometteur pour les sites marchands qui cherchent à attirer les consommateurs et augmenter leur profit. Il montre que les tactiques de vente adaptée utilisées par les commerciaux dans des interactions hors ligne peuvent être automatisées et appliquées en ligne avec un véritable impact, quels que soient les sites, ce qui veut dire que cela peut être utilisé pour un large panel de sites d’e-commerce. Leurs recherches sont particulièrement importantes, dans la mesure où les commerçants essaient déjà de rendre le commerce en ligne plus personnalisé en utilisant des forums alternatifs, comme la messagerie instantanée et les plateformes de réseaux sociaux, soulignant ainsi l’importance de créer une expérience qui imite l’interaction interpersonnelle que vous auriez en physique. Elles suggèrent aussi qu’une seule méthode pour tous n’est pas une bonne idée, et que les sites d’e-commerce se devraient de développer une boîte à outils de ventes qui puisse s’adapter aux besoins et aux préférences de leurs consommateurs individuels.

 Le voyage ne s’arrête pas ici et il y a encore du travail à faire pour optimiser l’expérience de vente. En fonction des demandes des partenaires commerçants, le professeur McFarland et ses associés ont mesuré le succès par le taux de clic. La méthode pourrait être développée si les comportements en termes de navigation et d’achats pouvaient être suivis. Les prochaines études pourraient aussi mesurer les comportements physiques, comme le mouvement des yeux ou les expressions faciales. L’inclusion de toute la gamme de la taxonomie de tactiques d’influence sociale est aussi vitale pour piloter leur adaptation en ligne et pour identifier celle qui marche le mieux.

 Finalement, ce sont de très bonnes nouvelles pour les commerçants en ligne confrontés au défi d’exploiter le marché florissant du e-commerce — et peut-être de moins bonnes nouvelles pour nos porte-monnaies ! L’algorithme de vente automatique adaptée piloté par le professeur McFarland et ses collègues montre que la vente adaptée peut se faire en ligne et que ce processus peut être automatisé au bénéfice de l’expérience du consommateur et du résultat du commerçant. 

Réferences :

  1. Weitz, B.A. (1978). Relationship between salesperson performance and understanding of customer decision making. Journal of Marketing Research, 15(4), 501-516.

  2. McFarland, Richard G., Goutam N. Challagalla, and Tasadduq A. Shervani (2006), “Influence Tactics for Effective Adaptive Selling,” Journal of Marketing, 70 (October), 103-117. 

  1. Cialdini, R.B. (1993). Influence: Science and Practice. HarperCollins College Publishers: New York, NY.

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