Quel est l’impact des politiques de lutte contre la discrimination sur l’entrepreneuriat ?

Quel est l’impact des politiques de lutte contre la discrimination sur l’entrepreneuriat ?

Avec ESSEC Knowledge Editor-in-chief

N’avons-nous pas tous rêvé d’être notre propre patron à un moment ou à un autre ? Les entrepreneurs font de ce rêve une réalité, en se mettant à leur compte pour fonder une entreprise indépendante. C’est pourquoi les facteurs qui influencent la décision d’une personne de quitter un emploi rémunéré et d’entreprendre sont une question intéressante, y compris les facteurs institutionnels tels que les réglementations et les politiques qui pourraient encourager ou décourager l’entrepreneuriat. Lorsqu’elle prend une telle décision, une personne analyse sa situation, notamment en comparant sa vie d’entrepreneur à celle de salarié. Cela signifie que les réglementations ayant un impact sur le degré d’inclusion et d’équité de l’environnement de travail peuvent avoir un impact significatif sur la décision d’une personne de devenir entrepreneur, une possibilité qui n’a pas fait l’objet de recherches approfondies. Dans une étude récente publiée dans le Strategic Management Journal, Raffaele Conti (ESSEC Business School), Olenka Kacperczyk (London Business School) et Giovanni Valentini (IESE Business School) se sont particulièrement intéressés aux effets sur les startups des réglementations adoptées afin de lutter contre la discrimination sur le lieu de travail, sur la base de la race, du sexe, de l’orientation sexuelle, de l’identité de genre, du handicap, de la grossesse, de la religion, de l’âge, etc. Les chercheurs s’intéressent en particulier aux effets de la loi sur la discrimination au travail aux États-Unis. Cette législation comprend des protections de l’emploi pour l’orientation sexuelle et l’identité de genre, qui font l’objet de cette étude. Elle a également été introduite progressivement dans 15 États entre 1980 et 2006, de sorte que les chercheurs ont pu étudier son impact au fur et à mesure de sa mise en œuvre.

La législation, la discrimination et l’innovation

Qui devient entrepreneur ? On a fait couler beaucoup d’encre en examinant les motivations des individus à devenir entrepreneurs, en étudiant principalement les facteurs individuels et organisationnels. Récemment, les chercheurs se sont intéressés à l’étude de l’environnement institutionnel (qui peut être le lieu de travail) et surtout aux changements dans l’institution, et à la manière dont les caractéristiques de l’institution influent sur la décision des individus de devenir entrepreneur. Ces recherches se sont largement concentrées sur les institutions qui attirent les fondateurs potentiels, par exemple en leur donnant accès à des ressources pour lancer une nouvelle entreprise. Toutefois, les ressources ne sont pas le seul facteur qui influe sur la décision d’une personne de se lancer à son compte : quitter un emploi salarié pour se lancer dans une nouvelle activité risquée est une décision importante. Il est donc logique que des études antérieures aient montré que les individus sont plus susceptibles de devenir entrepreneurs lorsque l’alternative, l’emploi salarié, est moins attrayante, et vice versa (par exemple, Hellmann, 2007).

 

Comment les législations qui protègent contre la discrimination interviennent-elles ? Ces lois protègent les employés contre la discrimination, dans le but d’améliorer les conditions de travail et de fournir un environnement équitable. Les chercheurs ont étudié les effets de la loi sur la non-discrimination en matière d’emploi au niveau des États. Pour recueillir des données sur l’entrepreneuriat, ils ont étudié le nombre d’enregistrements de nouvelles entreprises dans les États après la promulgation de la loi entre 1980 et 2006. Ils ont constaté qu’en effet, lorsque la loi a été promulguée, les employés étaient moins susceptibles de se mettre à leur compte et de créer une nouvelle entreprise : il y a eu moins de nouvelles entreprises après la mise en œuvre de la loi dans un État donné.

La qualité plutôt que la quantité : s’il y a moins de startups, les nouvelles sont de meilleure qualité. Ils ont mesuré la qualité de trois manières différentes, la première étant le nombre de demandes de brevets déposées par les jeunes entreprises au cours d’une année donnée. Les entreprises qui déposent des brevets sont susceptibles 1) d’avoir une technologie supérieure et 2) de chercher à capturer la valeur de leur technologie, et le fait de posséder un portefeuille de brevets a été lié à la survie de l’entreprise (par exemple, Cockburn et Wagner, 2007 ; Helmers et Rogers, 2010). Cela fait des dépôts de brevets un indicateur approprié de la qualité. Les chercheurs ont également utilisé le montant des levées de fonds comme indicateur de la qualité, car le financement est également lié au potentiel de croissance et à la qualité. Le troisième indicateur de la qualité était les chances de survie, mesurées par la proportion de startups créées au cours d’une année donnée qui ont survécu pendant au moins cinq ans. Ils ont constaté qu’effectivement, après la mise en œuvre de la loi dans un État, la qualité des startups était plus élevée dans cet État, avec davantage de dépôts de brevets et de levées de fonds pour ces startups. La loi a également eu un effet faible, mais significatif sur la capacité de survie des entreprises.

 Ils ont également constaté que l’effet des lois qui luttent contre la discrimination était encore plus marqué dans les États où les populations LGBT sont plus nombreuses et où les niveaux de discrimination ont tendance à être plus élevés, comme le montre le nombre de procès pour atteinte aux droits civiques. Dans ces cas-là, il y avait à nouveau beaucoup moins de nouvelles entreprises, mais elles étaient de meilleure qualité.

 L’identité du fondateur a-t-elle de l’importance ? Les chercheurs ont examiné les startups fondées par toutes les minorités (pas seulement la population LGBT) et ont constaté qu’il y avait moins de nouvelles startups fondées par des membres de groupes minoritaires. Cela peut probablement être attribué à l’amélioration des conditions de travail au niveau de l’emploi salarié, rendant les membres des populations minoritaires moins susceptibles de passer à un rôle d’entrepreneur. En examinant de plus près les caractéristiques individuelles, les chercheurs ont mené une expérience avec plus de 400 employés basés aux États-Unis. Ils ont constaté que ceux qui étaient placés dans un scénario où leur employeur appliquait des politiques contre la discrimination ont déclaré qu’ils seraient moins susceptibles de quitter leur emploi pour devenir entrepreneurs et qu’ils se sentaient plus satisfaits de leur employeur. Cela suggère que les politiques de lutte contre la discrimination augmentent l’attrait du lieu de travail.

Les chercheurs ont également étudié les politiques antidiscriminatoires au niveau des entreprises. Ils ont constaté que les entreprises des États ayant adopté la loi contre la discrimination étaient plus susceptibles d’adopter des pratiques antidiscriminatoires et favorables à la diversité, telles que des programmes de lutte contre la discrimination à l’égard des LGBT ou des politiques progressistes en faveur des LGBT - il est intéressant de noter que ces entreprises ont également obtenu des scores plus élevés en matière de responsabilité sociale des entreprises. Le même schéma s’est reproduit ici : ces politiques ont été associées à un nombre moins élevé de nouvelles entreprises, mais à une qualité supérieure des nouvelles entreprises. Cela indique que la loi a un impact sur la politique des entreprises, et que cette politique a également un impact sur le comportement entrepreneurial.

Implications pour la recherche et les politiques

Nous pouvons convenir que les politiques de lutte contre la discrimination sont une mesure positive, mais il est également utile d’examiner empiriquement l’effet tangible de ces politiques. Dans cette étude, le professeur Conti et ses collègues ont exploré l’effet des politiques anti-discrimination d’une nouvelle manière en examinant l’impact de ces politiques sur l’entrepreneuriat. Leurs résultats montrent que les politiques anti-discrimination augmentent l’attrait du lieu de travail, rendant les employés moins susceptibles de quitter un emploi rémunéré lorsqu’ils se sentent protégés par leur lieu de travail et entraînant moins de création de nouvelles entreprises, mais que les nouvelles entreprises qui ont été fondées étaient de qualité supérieure. Cela suggère que les politiques anti-discrimination peuvent non seulement améliorer la vie professionnelle des populations minoritaires, mais aussi la qualité de l’entrepreneuriat, une découverte inédite et une information utile pour les décideurs politiques qui cherchent à améliorer les conditions d’emploi et la qualité de l’entrepreneuriat. Cela montre également que le fait de garder à l’esprit le bien-être des employés est bénéfique pour mieux comprendre l’impact des politiques institutionnelles sur les nouvelles entreprises. La qualité prime sur la quantité : les politiques de lutte contre la discrimination peuvent permettre aux employés actuels de rester satisfaits de leur rôle et améliorer les résultats de ceux qui décident de se lancer dans une nouvelle entreprise.

Référence

Conti, R., Kacperczyk, O., & Valentini, G. (2021). Institutional protection of minority employees and entrepreneurship: Evidence from the LGBT Employment Non‐Discrimination Acts. Strategic Management Journal. doi: 10.1002/smj.3340

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