Accords commerciaux, un avantage pour les consommateurs ?

Accords commerciaux, un avantage pour les consommateurs ?

C’était un jeudi, en juin 2016. Le Royaume-Uni a décidé de quitter l'Union européenne après un référendum historique au cours duquel le peuple s’est prononcé contre l'avis des principaux dirigeants du parti au pouvoir à Westminster. Le pays s‘est dès lors plongé dans l'inconnue politique.

Bien que la campagne du « leave » ait été bâtie sur des « arguments émotionnels » autour de l'immigration, il y avait beaucoup (plus) de raisons qui ont poussé les partisans du Brexit à croire qu'un tel divorce profiterait au Royaume-Uni. La plupart des arguments avancés n'étaient pourtant pas nouveaux; parmi eux : « l'UE menace la souveraineté britannique » et « l'UE renforce l'intérêt des entreprises et empêche des réformes radicales ». Une partie du camp Brexit a accusé l'UE d'avoir empêché la signature de nouveaux accords commerciaux. Le Royaume-Uni devait pouvoir être libre de négocier et de définir le cours de sa politique commerciale.

Par conséquent, lorsque le professeur d'économie Giuseppe Berlingieri décide d’examiner l’impact des accords commerciaux (mis en œuvre par l'UE entre 1993 et ​​2013) sur le bien-être des consommateurs, nous sommes amenés à nous demander si les consommateurs britanniques, et notamment les partisans du Brexit, avaient raison de croire que ces accords nuisent à l'économie britannique. Avaient-ils raison de penser qu'ils feraient mieux par eux-mêmes ?

Contexte

Au cours des deux dernières décennies, le nombre d'accords commerciaux a considérablement augmenté. Les économistes ont étudié leurs conséquences économiques en se concentrant sur leur impact ainsi que sur des variables telles que les flux commerciaux, la productivité, les arrivées et départs d’entreprises, l'emploi et les salaires. Toutefois, la recherche récente a quelque peu négligé l'impact des accords commerciaux sur les consommateurs.

Abaisser les barrières commerciales augmente le bien-être

Un principe central de la théorie du commerce dit que l'abaissement des barrières commerciales améliore le bien-être. Les accords commerciaux entre pays abaissent les barrières commerciales sur les biens importés et, théoriquement, apportent des gains de bien-être aux consommateurs en augmentant la variété, et en facilitant l'accès à des produits de meilleure qualité et des prix plus bas. Même si une vaste littérature sur le sujet mesure les bénéfices globaux du commerce, on en sait moins sur les effets d'accords commerciaux spécifiques et les canaux par lesquels ils augmentent le bien-être.

Mesurer l'impact sur le consommateur

Compte tenu de l'opposition récente de l’opinion publique et des politiques à de nouveaux accords tels que le CETA, l'accord économique et commercial global entre l’Union Européenne et le Canada, ou encore le partenariat transatlantique de commerce et d'investissement, il est important de comprendre comment les accords commerciaux antérieurs ont affecté les consommateurs. Et pour cela, l'UE fournit un exemple intéressant. Il s’agit en effet du plus grand bloc commercial du monde; l’UE a été un négociateur prolifique d’accords commerciaux au cours des deux dernières décennies.

Comment ça marche ?

Penchons-nous sur l'exemple observé par Berlingieri et ses collègues chercheurs. Supposons des téléviseurs LCD de 21 pouces importés de Corée dans l'UE des 12 (c’est-à-dire avant l'élargissement de 1995). Ceux-ci ont le même prix que ceux importés du Japon. Mais la part de marché du Japon est de 20% et celle de la Corée de 10%. L’écran japonais est estimé être de meilleure qualité. Si le prix des téléviseurs LCD japonais est plus élevé, nous devrons contrôler la différence de prix qui réduirait l'estimation de la qualité pour le Japon.

Naturellement, il n'y a pas que la qualité à prendre en compte. Afin de mesurer l'impact des accords commerciaux, Berlingieri et ses collègues ont mesuré les prix, la qualité et la variété et ont évalué leur évolution après la mise en œuvre d’accords commerciaux. Ils ont ensuite comparé l'évolution des trois variables pour le groupe ayant signé des accords commerciaux avec l'UE, avec un groupe témoin de pays qui ne l’avait pas fait.

Bénéficions-nous des accords commerciaux de l'UE ?

Berlingieri et ses homologues ont observé que les accords commerciaux de l'UE améliorent la qualité (d'environ 7% sur une période de cinq ans) mais qu'ils n'ont pas beaucoup d'impact sur les prix et la variété. Ces résultats soulignent l'importance de la prise en compte de la qualité.

Une approche naïve, qui ne ferait que prendre en compte l'impact de l'accord commercial sur les prix ajustés (hors qualité, donc), pourrait conclure à tort que les accords commerciaux n'ont aucun impact sur les consommateurs. Dans le cas des accords commerciaux mis en œuvre par l'Union Européenne, l'effet global passe par des variations de qualité. Par conséquent, une fois les prix corrigés des variations de la qualité, on peut constater que les accords commerciaux les ont abaissés de près de 7%.

Mais les effets varient d’un pays à un autre. Les pays de l'Union Européenne aux revenus élevés (Belgique, Luxembourg, Irlande, Pays-Bas, Royaume-Uni) ont vu leur qualité augmenter plus fortement que les autres pays de l'Union. Pour les pays à plus faibles revenus (Grèce, Portugal et Espagne), l'impact a presque exclusivement été une réduction des prix plutôt qu'une amélioration de la qualité.

Leur approche ne leur permet pas d'identifier les sources exactes de ces améliorations de la qualité. Cependant, ils évoquent quelques mécanismes qui pourraient être à l’origine . Une explication plausible est que les exportateurs étrangers améliorent la qualité en vue de servir le marché de l'UE après la mise en œuvre des accords commerciaux.

Et la comparaison de l'indice des prix à la consommation (IPC) dans deux scénarios différents – l’un où l'UE a signé des accords commerciaux et l’autre où l'UE n'a signé aucun accord commercial - leur permet de déterminer la perte de pouvoir d’achat des consommateurs de l’UE des 12 s’il n’y avait pas eu d’accords commerciaux. Bien que l'effet ne soit pas très important - 55% d'effet direct sur les prix et la qualité des produits importés ; les 45% restants étant dus à des réductions du prix des importations d'intrants intermédiaires ajusté en fonction de la qualité, qui abaissent les prix des produits nationaux - cela représente des économies substantielles pour les consommateurs européens, d'environ 24 milliards d'euros par an.

Revenons maintenant à ceux qui ont voté pour la sortie du Royaume-Uni de l’UE. Nous pouvons voir que la situation n’est pas si dramatique après tout. Grâce à l'Union européenne, les accords commerciaux ont été bénéfiques pour les consommateurs britanniques : la qualité des produits importés a augmenté. Certes, les négociations et les accords commerciaux négociés par l'UE sont complexes. Cela dit, il est également vrai que l'Union Européenne a été un négociateur prolifique au cours des dernières décennies. Et il s'avère que le Royaume-Uni a tiré profit de cette politique commerciale. Le Royaume-Uni s’en sortirait-il mieux s'il pouvait négocier ses propres accords commerciaux ? Pour cela, il devrait quitter le marché unique, c'est-à-dire laisser la plus grande zone de libre-échange à sa porte et - c'est là que les choses se corsent - perdre l'accès à tous les accords commerciaux signés par l'UE ces dernières années ; des accords commerciaux qui s'avèrent bénéfiques pour les consommateurs britanniques.

En plus de cela, si le Royaume-Uni choisit de sortir du bloc, il devra faire face au problème des règles d'origine*.La plupart des accords commerciaux exigent que 55% de la valeur soit produite localement. Pour les produits avec une chaîne d'approvisionnement complexe comme les voitures, le Royaume-Uni aura du mal à prouver qu'ils ont été fabriqués en Grande-Bretagne, par conséquent, ils ne pourra pas être couverts par les nouveaux accords commerciaux signés de manière indépendante. Quelle relation le pays entretiendra-t-il avec l'UE après le Brexit ? Il y a quelques semaines à peine, les députés décidaient si le Royaume-Uni devait rester membre de l'Espace économique européen après son départ de l'UE - un arrangement similaire à celui des pays non membres de l'Union, la Norvège, l'Islande et le Liechtenstein. Encore une fois, la réponse a été « non ». Les députés ont voté par 327 voix contre 126. L'histoire est bien loin d'être terminée*.

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*https://www.cer.eu/insights/brexit-and-rules-origin-why-free-trade-agreements-%E2%89%A0-free-trade
*https://www.bbc.com/news/uk-politics-44474661

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