Game of Thrones et le jeu des marques

Game of Thrones et le jeu des marques

Le développement d’une forte identité de marque peut prendre des années. L’identité doit indiquer comment une marque communique avec son marché. Mais quand des phénomènes tels la série culte Game of Thrones surviennent, accompagnés de franchises omniprésentes, les marques sont confrontées à une décision importante : doivent-elles s’intégrer à la franchise et bénéficier d’une popularité de court-terme ou maintenir leur stratégie de communication établie de longue date ?

La huitième et dernière saison de Game of Thrones s’est terminée le 19 mai et tout au long de celle-ci plus de 100 marques ont été liées. Dans cette interview, Steven Seggie, professeur associé de marketing, parle de la série, des décisions marketing les plus inattendues prises par certaines marques, et surtout de ce qui surviendra probablement maintenant que la série est terminée.

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Danielle Steele : Le 14 avril 2019 a marqué le début de la huitième saison de la série HBO tant attendue, Game of Thrones. Pendant deux ans, les fans ont dû attendre pour connaître la suite d’une des séries télévisées les plus populaires de tous les temps. En revanche, les fans n’étaient pas le seuls à attendre ; un certain nombre de marques attendaient aussi pour prendre la vague Game of Thrones et commercialiser leurs produits. Aujourd’hui, le professeur Steven Seggie explique comment l’image d’une marque doit être liée à une stratégie de communication plus large. Professeur Seggie, quel est le rapport entre Game of Thrones,le marketing et l’image de marque ?

Steven Seggie : Eh bien, je pense que c’est très intéressant. Quand vous considérez Game of Thrones et le phénomène que c’est devenu, c’est bien plus important que ce à quoi on s’attendait. Lorsqu’ils ont commencé la première saison, je ne pense pas qu’ils s’attendaient à voir des audiences atteignant  les centaines de millions comme on le voit aujourd’hui ; ce qui a poussé les marques à se lier d’elles-mêmes à cette franchise. Je pense qu’il y eu près de 100 marques, que ce soit de façon officielle ou non, qui ont noué un partenariat avec Game of Thrones.

D.S. : Est-ce que ces marques le font bien ? Est-ce qu’elles relient leur image de marque à Game of Thrones de la bonne façon ?

S.S. : Je pense que c’est important de faire un retour en arrière et de réfléchir au moment où les entreprises se lancent dans une stratégie de communication. Elles racontent essentiellement l’histoire de ce qu’elles sont en tant que marque, ce qu’elles représentent, et ce qu’elles veulent apporter au marché. Par conséquent, quand les entreprises s’engagent dans une stratégie de communication, qui englobe chaque point de contact que l’entreprise aura avec le consommateur – c’est-à-dire les autres consommateurs qui utilisent la marque, les magasins dans lesquels la marque est vendue, les publicités – tous ces points de contact devraient être en lien avec l’histoire générale que vous essayez de raconter à propos de la marque. Le problème c’est que, quand vous avez ces phénomènes énormes comme Game of Thrones, Star Wars, ou n’importe laquelle de ces grandes franchises, les marques ont tendance à s’intégrer avec la marque qui existe avec le film, sans vraiment considérer leur stratégie de communication globale et l’histoire qu’elles racontaient au marché. Au contraire, elles se lancent dans un coup à court-terme avec ces franchises.

D.S. : Avez-vous des exemples de marques qui ont fait ça ?

S.S. : Je pense à 3-4 exemples, parmi les centaines de marques qui l’ont fait. Une d’entre elles est la Major League Baseball. Essentiellement, Major League Baseball a communiqué une histoire de famille, les fans et les joueurs, ainsi que cette notion de surprise : l’idée que n’importe qui peut gagner au baseball. Soudainement, ils ont commencé à marketer des marionnettes à tête branlante – qui prennent habituellement la forme des mascottes de l’équipe – sur le trône de fer. Ensuite, on commence à voir les mascottes habillées comme les Marcheurs Blancs, ou comme d’autres personnages de la série. Comment cela s’accorde avec le message général de surprise qu’ils ont essayé de communiquer ?

Oreo, un autre très bon exemple, a communiqué pendant des années une image ludique. Cette notion d’impliquer les enfants, qui cassent les gâteaux en deux pour les tremper dans du lait, et plus généralement d’avoir les gens qui jouent avec leurs gâteaux. Si vous allez sur YouTube et que vous regardez les campagnes de publicité Oreo, elles reprennent toutes cette notion du jeu ; elles sont surtout destinées à un public jeune, ainsi qu’à l’enfant qui est en nous tous. Ensuite ils ont introduit des éditions spéciales limitées de Dark Oreo Game of Thrones. J’aime beaucoup de choses dans la série, mais une chose que je ne ferais certainement pas, c’est laisser ma fille de 10 ans regarder la série. Ce n’est pas le genre d’image ou d’histoire que je voudrais qu’elle regarde.

Un autre exemple est la Croix-Rouge qui a organisé un don du sang pendant lequel, si vous donniez votre sang, ils donnaient aux participants un poster de Game of Thrones et ils pouvaient participer à un tirage au sort pour gagner un trône de fer. Oui, Game of Thrones est sanglant, mais je ne pense pas qu’ils aient réfléchi à leur stratégie globale et ce que cela signifie vraiment. Pour plusieurs raisons, je pense qu’un film de vampires aurait été plus approprié pour la Croix-Rouge, que ce genre de série sanglante, gore et compliquée.

Il y a beaucoup, beaucoup d’autres exemples : Johnnie Walker avec les Marcheurs Blancs ou Mountain Dew, avec des canettes spéciales de Mountain Dew avec la liste d’Arya dessus. Essentiellement, ces marques adoptent une vision de court-terme et il y aura effectivement un impact positif, mais il faut aussi prendre en compte le coût d’opportunité. Est-ce que cet argent aurait pu être mieux dépensé ailleurs, dans une communication séparée qui aurait eu un impact plus important ?

D.S. : À partir de ce que vous avez dit et étant donné la nature de la série, avec ses images explicites, le sexe, la violence, est-ce que cela peut être bien fait, et si oui de quelle manière ?

S.S. : Deux exemples me viennent à l’esprit, peut-être trois exemples. Le premier est celui de OkCupid ; ils permettaient principalement à leurs membres d’arborer un logo Game of Thrones sur leur profil pour attirer les gens qui étaient aussi fans de la série.

C’est judicieux dans la mesure où nous parlons des intérêts communs des gens. D’un point de vue basique, l’idée est très bonne. Quels sont tes intérêts ? J’aime le foot, j’aime le baseball, et j’aime Game of Thrones. Bien sûr, quand on regarde l’histoire d’amour entre Cersei et Jaime Lannister, le fait de lier votre marque avec la façon dont l’amour est représenté dans la série elle-même peut être problématique.

Un autre exemple réussi est celui du Risk, le jeu de plateau. J’y jouais étant enfant et je sais où Kamchatka se situe en Russie grâce à ça. C’est un jeu de guerre ; il s’agit de tuer, et de conquérir le monde. Par conséquent, lier le jeu à Westeros et la conquête des sept royaumes est tout à fait logique et correspond avec l’idée générale de Game of Thrones.

Il existe aussi une version Game of Thrones du Monopoly, qui correspond également en termes de marque. Si vous avez des produits spécifiquement destinés aux adultes, la clé c’est de développer des partenariats de marque réussis sur le long-terme, plutôt que des coups sur le court-terme.

D.S. : Nous avons une question du public, qui dit « Si un grand nombre de marques utilisent Game of Thrones, leur message ne va-t-il pas se perdre dans la foule ? » 

S.S. : Oui, je pense que c’est aussi un enjeu important, cela peut diluer votre message. Du point de vue de la marque Game of Thrones, c’est cohérent. Ils utilisent une grande partie de leur chiffre d’affaires généré à partir des partenariats pour sponsoriser l’imagerie assistée par ordinateur (CGI), qui coûte très cher. S’il y a entre 5 et 10 marques spécifiques qui sont focalisées sur les partenariats avec la marque, c’est bon. En revanche, s’il y a une centaine de marques, alors oui, le message sera probablement dilué et vous courez le risque d’une confusion des marques.

D.S. : Il y-a-t-il d’autres phénomènes télévisés similaires qui ont réussi par rapport aux marques, Lost, Friends, Desperate Housewives… ?

S.S. : Deux marques en particulier me viennent à l’esprit : la première est la franchise James Bond. Je crois que depuis 1962 jusqu’à aujourd’hui, ils ont recueilli des recettes d’environ 11 milliards de dollars. Je ne suis pas sûr que ce soit la somme totale estimée à partir des films, mais autour de 4 milliards ont été recueillis grâce aux partenariats, ils ont donc ouvert la voie.

Ce qui est intéressant avec James Bond, c’est que vers la période Timothy Dalton, la franchise a commencé à vraiment se focaliser sur les marques liées à James Bond tel qu’on le voyait : le luxe, les grosses voitures, l’homme sexy. Ils ont continué à améliorer la marque Bond jusqu’à aujourd’hui avec Daniel Craig, en collaboration avec des marques comme Tom Ford, Bollinger, et d’autres marques de luxe.

En revanche, si vous regardez en 1962, Whiskas, la marque de nourriture pour chat, était en fait l’un des premiers produits placé dans James Bond à l’époque. A l’époque, lorsqu’ils ont commencé le placement de produit, ils n’avaient pas vraiment de notion de ce qu’ils faisaient. En revanche, au cours du temps, probablement autour de 1987 lorsque Timothy Dalton est arrivé, c’est à ce moment qu’ils ont commencé à penser professionnellement à l’image réelle de James Bond, et sur quelle image les marques associées essayaient de communiquer. C’est-à-dire, les montres Omega, les voitures qu’il conduisait, le type de stylos qu’il utilisait ; toutes ces choses étaient très liées entre elles au concept de James Bond.

Un autre bon exemple est Sex in the City, à la fois la série télévisée et le film. Que ce soit le fait que plusieurs saisons ont été tournées dans les bureaux de Vogue, ou qu’une partie a été filmée dans le bureau de Diane Von Furstenberg, ou l’utilisation d’ordinateurs Apple, Swarovski, ou Starbucks ; tout cela s’intègre parfaitement dans le film. Toutes ces marques correspondent très clairement aux marques que nous utiliserions si nous étions ces femmes qui habitent à New York. En revanche, Game of Thrones est plus un assortiment de choses et les marques continuent de se ruer dessus.

D.S. : Une dernière question, lorsque la série terminera, que va-t-il se passer avec ces campagnes de marketing des marques ?

S.S. : Je pense que nous allons voir des épisodes supplémentaires sur la période antérieure à la série, mais là encore c’est la question. Si on prend en compte cette notion de retour sur l’investissement sur le long-terme, alors on pourrait espérer qu’il y aurait une sorte de suite. Mais étant donné que c’est un seul essai, qui est très focalisé sur le court-terme, il n’y aura probablement pas de suite. Je ne pense pas qu’on verra encore le trône de fer de la Major League Baseball avec la tête qui s’agite à l’arrière de la voiture de n’importe qui dans 5 ans.

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